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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

Son air était sérieux et austère, mais non sans quelque expression de malice et de résolution. Il était représenté couvert d’une armure, bien qu’il n’en eût jamais porté, à ce que je crois. Il avait une main appuyée sur un livre ouvert, et l’autre sur la poignée de son épée, quoique, j’ose le dire, il ne lui arrivât peut-être jamais de lire au point de se donner mal à la tête, et de s’escrimer de manière à se fatiguer les membres.

« Ce portrait est peint sur la boiserie, madame ? demandai-je.

— Oui, monsieur ; autrement ils ne l’auraient pas laissé là ; car, Dieu merci, ils ont emporté tout ce qu’ils ont pu.

— Qui ? les créanciers de M. Treddles sans doute ?

— Non, répondit-elle sèchement, non ceux-là, mais les créanciers d’une autre famille. Ils ont balayé la maison beaucoup mieux que ceux de ce pauvre homme, apparemment parce qu’il y avait moins à ramasser.

— Une ancienne famille, peut-être, dont on se souvient, et qu’on regrette plus que les derniers possesseurs. »

Christie se rassit alors sur sa chaise, et tira son rouet à elle. Je venais d’éveiller un sujet qui l’intéressait, et son rouet, en pareille occasion, était un accompagnement mécanique qui aidait singulièrement au développement de ses idées.

« Dont on se souvient, qu’on regrette plus, dites-vous ? Oh ! il y avait quelqu’un dans l’ancienne famille qui m’était cher, bien cher ; mais je ne pourrais en dire autant de tous les autres. Et pourquoi donc se souviendrait-on d’eux plutôt que des Treddles ? La filature de coton était une bonne chose pour le pays. Plus un pauvre paysan avait d’enfants, mieux cela valait : ils gagnaient leur vie dès l’âge de cinq ans, et une veuve, avec trois ou quatre enfants, était une femme riche du temps des Treddles.

— Mais la santé de ces pauvres enfants, ma chère dame, leur éducation et leur instruction religieuse ?

— Quant à la santé, répondit Christie en me regardant d’un air de mauvaise humeur, vous connaissez bien peu les hommes, monsieur, si vous ignorez que la santé du pauvre, ainsi que sa jeunesse et ses forces, sont au service du riche. Il n’y a jamais eu métier si malsain que les hommes ne fussent disposés à se battre pour avoir de l’ouvrage dès qu’il y avait à gagner deux sous par jour en sus du salaire ordinaire. D’ailleurs les enfants étaient raisonnablement soignés : ni l’air ni l’exercice ne leur manquaient ; et quant à leur instruction, un jeune homme très-recommandable