Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

« Si j’en connais ! » dit-elle en portant à ses yeux le coin de son tablier à carreaux : « si j’en connais, M. Croftangry ! oh, oui ! Il y a ces pauvres montagnards de Glenshee qui sont venus pour la moisson, et qui sont malades de la fièvre : cinq shillings pour eux et une demi-couronne pour Bessie Mac Evoy, dont le mari, pauvre créature, était porteur de chaises : il est mort de froid, malgré tout le whisky qu’il buvait pour réchauffer son estomac, et… »

Mais, interrompant tout à coup l’énumération des charités qu’elle se proposait de faire, elle prit un air grave et se pinça légèrement les lèvres ; puis elle ajouta d’un ton différent : « Mais, M. Croftangry, réfléchissez bien si vous n’aurez pas besoin vous-même de cet argent, et si vous ne regretterez pas de l’avoir donné ; car c’est un grand péché que de se repentir d’une œuvre de charité, cela porte malheur : et d’ailleurs, ce n’est pas une pensée digne du fils d’un gentleman comme vous, mon cher monsieur. Je dis cela pour que vous y regardiez à deux fois ; car le fils de votre mère sait que vous n’êtes pas toujours soigneux de votre bien : il y a long-temps que je vous l’ai dit. »

Je lui assurai que je pouvais, sans me gêner et sans aucun risque de regret pour l’avenir, donner cet argent ; et elle en conclut « que M. Croftangry était devenu riche dans les pays étrangers, et n’avait plus rien à craindre des huissiers, des officiers du shériff, et de toute la séquelle de la justice, et la fille de la mère de Janet Mac Evoy était bien aise de l’apprendre. Mais si M. Croftangry avait la moindre inquiétude, le moindre embarras de ce genre, il avait toujours là sa chambre, et Janet était toute prête à le servir, et il ne la paierait que lorsque cela lui conviendrait. »

J’expliquai à Janet la situation dans laquelle je me trouvais alors, et elle me témoigna une joie extrême. Je lui fis ensuite des questions sur l’état de ses propres affaires, et quoiqu’elle me répondît à cet égard sur le ton de l’enjouement et de la satisfaction, il me fut facile de voir que ses moyens d’existence étaient fort précaires. Si je lui avais payé plus que je ne lui devais, d’autres locataires étaient tombés dans un défaut contraire, et ne lui avaient pas même donné son strict salaire. Janet ignorait les moyens indirects de tirer de l’argent de ses locataires. D’autres qui louaient comme elle en garni, et qui avaient plus de malice que la pauvre et simple montagnarde, offraient leurs appartements à meilleur marché en apparence, de manière qu’ils lui enlevaient