Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/140

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Mais, Dieu nous prenne sous sa sainte garde ! quelle effroyable réunion de convives étaient assis autour de la table ! — Mon grand-père en connaissait beaucoup d’entre eux qu’on avait portés depuis long-temps à leur dernière demeure. C’était le superbe Middleton, le dissolu Rothes et le perfide Lauderdale ; Dalyell, avec sa tête haute et sa barbe jusqu’à la ceinture ; Earlshall, avec du sang de Caméron aux mains ; le sauvage Bonshaw, qui garrotta les membres du bienheureux M. Cargill jusqu’à ce que le sang en jaillît ; et enfin Dumbarton Douglas, deux fois traître à son pays et à son roi. C’était encore le sanguinaire avocat Mackenye, qui, pour son esprit et sa sagesse mondaine, a été auprès des autres comme un dieu. C’était aussi Claverhouse, aussi beau que quand il vivait, avec ses longues boucles de cheveux noirs et frisés retombant sur un justaucorps de buffle tout brodé, et la main gauche posée sur son épaule droite pour cacher sa blessure qu’y avait faite la balle d’argent. Il était assis loin des autres, et les regardait avec une physionomie mélancolique et hautaine, tandis qu’eux tous criaient, chantaient et riaient au point que la salle en tremblait. Mais leurs rires produisaient de temps à autre d’effrayantes grimaces, et leurs chants se changeaient en sons si discordants que les ongles même de mon grand-père en devenaient bleus, et que la moelle se figeait dans ses os.

Les domestiques qui les servaient à table étaient les bandits de valets et de soldats qui avaient exécuté sur la terre leurs ordres coupables et barbares. C’était Lang-Lad de Nethertown, qui aida à prendre Argyle, et le coquin qui avait osé faire les sommations à l’évêque, et qu’on appelait le Trompette du diable ; et les infâmes gardes du corps avec leurs habits galonnés, et le sauvage montagnard Amorites, qui répandait le sang comme de l’eau. Et bien d’autres orgueilleux serviteurs au cœur hautain, aux mains sanglantes, rampant sous les riches et les rendant plus pervers encore qu’ils n’auraient été, réduisant les pauvres en poussière, quand les riches les avaient déchirés en morceaux. Et beaucoup d’autres qui allaient et venaient, tous aussi diligents à leur poste que s’ils eussent été vivants.

Sir Robert Redgauntlet, au milieu de toute cette effroyable orgie, cria d’une voix de tonnerre à Steenie, le joueur de cornemuse, de venir vers le haut bout de la table où il était assis, les jambes étendues et enveloppées de flanelle, avec ses pistolets d’arçon près de lui, et son grand sabre accroché à son fauteuil,