Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/158

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je n’ose vous dire d’où provient cet intérêt : je ne suis pas plus libre de vous expliquer la nature et la cause de vos périls ; mais il n’en est pas moins vrai que ces périls sont proches et imminents. Ne m’en demandez pas davantage ; mais par égard pour vous-même fuyez ce pays. Partout ailleurs vous êtes en sûreté : — ici vous ne faites que tenter la fortune.

— Suis-je donc condamné à dire ainsi adieu à la seule personne qui se soit intéressée à mon bien-être ? — Oh ! ne parlez plus comme vous l’avez fait, — dites plutôt que nous nous reverrons, et cette espérance sera l’étoile tutélaire qui dirigera ma course.

— Il est plus que probable, beaucoup plus que probable que nous ne nous reverrons jamais. Le service que je vous rends à cette heure est le seul que je puisse vous rendre. C’est celui que je rendrais à un aveugle que j’apercevrais sur le bord d’un précipice ; il ne doit pas exciter de surprise, et n’exige aucune reconnaissance. »

À ces mots elle se détourna encore, et ne m’adressa plus la parole qu’à l’instant où la contredanse allait finir ; alors elle me dit : « N’essayez point de me parler ni de vous rapprocher de moi pendant le cours de cette nuit ; quittez cette compagnie aussitôt que possible, mais sans affectation, et que Dieu soit avec vous. »

Je la reconduisis à sa place, et ne lâchai pas la belle main que je tenais, sans exprimer les sentiments dont j’étais pénétré, en la pressant légèrement. Elle rougit un peu et retira sa main, sans néanmoins paraître fâchée. Voyant les yeux de Cristal et de Mabel sévèrement fixés sur moi, je la saluai et je m’éloignai d’elle, le cœur saignant et mes yeux s’obscurcissant de plus en plus, à mesure que la foule nous dérobait l’un à l’autre.

Mon intention était de regrimper sur l’estrade près de mon camarade Willie, et de reprendre mon archet pour jouer tant bien que mal, quoiqu’en ce moment j’eusse donné la moitié de ma pension annuelle pour être seul une minute. Mais la retraite me fut coupée par dame Martin, avec la franchise (s’il n’y a point de contradiction entre ces deux mots) d’une coquette rustique qui va droit à son but.

« Holà ! jeune homme, vous paraissez bien vite las de danser si légèrement. Mieux vaut le bidet qui marche au pas toute la journée, que celui qui trotte un mille, et ensuite ne peut plus bouger. »