Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdu son temps, sa fortune et sa raison. Ces pauvres insensés m’ont paru quelquefois ressembler aux débris de vaisseaux qu’on rencontre dans les bas-fonds, au milieu des sables de Goodwin, ou dans la rade d’Yarmouth, et qui sont là comme pour avertir les autres navires de se métier des côtes où ils se sont perdus ; — ou bien encore on peut les comparer à des épouvantails placés dans les cours de justice pour éloigner les fous du domaine de la chicane.

Ce fameux Pierre Peebles portait une large redingote montrant la corde et rapiécée, mais soigneusement attachée par les boutons qui restaient, et par un grand nombre d’épingles supplémentaires, de façon à cacher l’état encore plus misérable de ses vêtements de dessous. Ses souliers et ses bas de charretier rejoignaient, à la hauteur des genoux, une culotte d’un brun noirâtre ; un mouchoir couleur de rouille, qui avait été blanc dans son temps, entourait son cou pour figurer le linge. Ses cheveux, moitié gris, moitié noirs, s’échappaient en mèches roides de dessous une perruque faite d’étoupes, à ce qu’il me sembla, et tellement rétrécie qu’elle se tenait sur le petit bout de la tête. C’est sur cette perruque qu’il plante un vaste chapeau retroussé, qui, comme la bannière d’un chef, peut se voir tous les jours de séance, entre neuf et dix heures, surmontant la foule mobile et remuante qui encombre la chambre extérieure du palais[1]. Là, ses extravagances le font souvent devenir le centre d’un groupe d’espiègles infatigables qui exercent sur lui l’art de tourmenter ingénieusement. Sa figure, autrefois celle d’un bon bourgeois, est maintenant amaigrie par la pauvreté et l’inquiétude ; l’expression égarée de ses yeux brillants indique le fâcheux état de son cerveau. Joignez-y une peau hâlée, un teint flétri, cet air d’importance particulier à la folie, et l’habitude de se parler continuellement à lui-même. Tel était mon infortuné client ; et je dois avouer, Darsie, que ma profession a besoin de faire beaucoup de bien à d’autres individus, si elle en réduit un certain nombre à une pareille misère.

Après qu’on nous eut présentés l’un à l’autre avec beaucoup de cérémonie (et alors je compris aisément aux manières de mon père qu’il désirait relever à mes yeux l’importance de Pierre, autant qu’il se pourrait) : « Alan, me dit-il, c’est monsieur

  1. Outer house, tribunal de première instance. a. m.