Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/235

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comme vagabond ; c’est sûr : omne ignorum pro terribili[1], comme nous avions coutume de dire à l’école d’Appleby : c’est-à-dire, quiconque n’est pas connu du juge de paix est un coquin et un vagabond. Ha ! — oui, vous pouvez rire, monsieur ; mais je doute que vous eussiez pu comprendre ce latin, sans ma traduction. »

Je reconnus que j’étais son obligé pour la nouvelle édition de cet adage, et pour l’interprétation à laquelle je n’aurais jamais pu arriver seul et sans secours. Je me mis alors à raconter les faits avec une plus grande confiance. Il était clair que le juge de paix était un âne ; mais il n’était guère possible qu’il fût assez profondément ignare pour ne pas savoir ce qu’il avait à faire dans un cas aussi simple que le mien. Je l’informai donc de l’émeute qui avait eu lieu sur la rive écossaise du golfe de la Solway ; je lui expliquai comment je me trouvais dans ma situation actuelle, et je suppliai Sa Seigneurie de me faire mettre en liberté. Je plaidai ma cause avec autant de chaleur que je pus, lançant de temps à autre un regard sur ma partie adverse, qui semblait absolument indifférente à l’ardeur que je mettais à l’accuser.

Quant au juge de paix, lorsqu’enfin je me fus arrêté, comme ne sachant plus réellement que dire dans une affaire aussi simple, il répliqua : « Oh ! — oui — oui — sans doute — surprenant ! et ainsi, c’est là toute la reconnaissance que vous montrez envers ce gentilhomme pour les peines et le mal qu’il s’est donnés pour vous, par rapport à vous ?

— Il m’a sauvé la vie, monsieur, je le reconnais, dans une occasion au moins, et très-probablement dans deux ; mais en le faisant il n’a obtenu aucun droit sur ma personne. Je ne demande, d’ailleurs, ni punition ni vengeance : au contraire, je m’estimerais heureux de quitter monsieur en ami ; car je ne suppose pas que ses intentions soient mauvaises, quoique ses actions aient été à mon égard violentes et peu conformes au droit des gens. »

Cette modération, Alan, vous le comprendrez, n’était pas entièrement dictée par ma gratitude envers l’individu dont je me plaignais ; elle avait d’autres raisons où ma considération pour lui n’entrait que pour peu de chose. Il sembla pourtant que la douceur avec laquelle je plaidai ma cause produisit plus d’effet sur le squire que tout ce que j’avais encore pu dire. Il fut ému au point de perdre presque contenance, et prit du tabac coup sur coup, comme pour gagner du temps et cacher un peu son émotion.

  1. Mot à mot : On doit redouter ce que l’on ne connaît pas. a. m.