Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/372

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Alan n’hésita point à lui remettre la lettre entre les mains. Après l’avoir tournée et retournée dans tous les sens, comme le vieux Trumbull et Nanty Ewart l’avaient déjà fait, et avoir, comme eux, examiné l’adresse avec beaucoup d’attention, le prêtre demanda à Fairford s’il avait remarqué ces mots, en lui montrant toute une phrase écrite au crayon sur l’enveloppe de la lettre. Fairford répondit négativement, et, regardant le papier, il y lut avec surprise : « Cave ne litteras Bellerophontis adferas[1]. » Cet avis coïncidait si exactement avec le conseil que lui avait donné le prévôt de bien examiner la lettre dont il était porteur, qu’il se leva tout à coup comme pour prendre la fuite, bien que ne sachant ni où fuir ni pourquoi.

« Asseyez-vous donc, jeune homme, » dit le père avec ce même ton d’autorité qui régnait dans toutes ses manières, quoique mêlées d’une politesse imposante. « Vous ne courez aucun péril ; — mon caractère garantit votre sûreté. — Par qui supposez-vous que ces mots aient été écrits ? »

Fairford aurait pu répondre : « Par Nanty Ewart, » car il se souvenait d’avoir vu le capitaine du brick tracer quelque chose avec un crayon, quoiqu’il fût alors trop malade pour bien remarquer où et sur quoi il avait écrit. Mais, ignorant quel soupçon, ou quelles conséquences pires encore, l’intérêt que le marin avait pris à ses affaires pouvait attirer sur celui-ci, il jugea convenable de dire qu’il ne reconnaissait pas l’écriture.

Le père Bonaventure garda encore le silence une minute ou deux, qu’il employa à regarder la lettre avec la plus scrupuleuse attention ; puis il s’approcha de la fenêtre, comme pour examiner mieux encore, à l’aide d’un jour plus brillant, l’adresse et la phrase tracée sur l’enveloppe, et alors Alan le vit, avec non moins de surprise que de mécontentement, briser d’un air froid et tranquille le cachet de la lettre, l’ouvrir, et en lire le contenu.

« Arrêtez, monsieur, arrêtez ! » s’écria-t-il aussitôt que son étonnement put lui permettre d’exprimer sa colère par des paroles, « de quel droit osez-vous…

— Paix, jeune homme, » répliqua le père, en lui défendant d’avancer par un geste de la main ; « soyez sûr que je n’agis pas ainsi sans autorité. — Il ne peut rien se passer entre M. Maxwell et M. Redgauntlet que je n’aie droit de le savoir.

  1. Prenez garde d’être porteur de la lettre de Bellérophon, parce que vous pourriez bien comme lui, suivant la Fable, courir des dangers de mort. a. m.