Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/53

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aquilin et une bouche bien faite concouraient à rendre sa physionomie noble et expressive. Un air de tristesse ou de sévérité, peut-être l’un et l’autre, semblait indiquer un caractère mélancolique et en même temps hautain. Je ne pouvais m’empêcher de revenir en idée aux anciens héros auxquels je voulais comparer le noble personnage que j’avais sous les yeux. Il était trop jeune et se montrait trop peu résigné à son destin, pour ressembler à Bélisaire. Il pouvait plutôt être comparé à Coriolan au foyer de Tullus Aufidius : pourtant l’air sombre et fier de l’étranger rappelait mieux encore Marius assis sur les ruines de Carthage.

Tandis que j’étais perdu dans ces rêveries, mon hôte demeura devant le feu, me regardant avec autant d’attention que je le regardais moi-même : embarrassé par ses regards, je me sentis au moment de rompre à tout hasard le silence. Mais la vue du souper placé alors sur la table me rappela des besoins que j’avais presque oubliés, pendant que je considérais les belles formes de mon guide. Il parla enfin, et je tressaillis encore au son riche et plein de sa voix, quoique ses paroles n’eussent d’autre but que de m’inviter à m’asseoir à table. Il prit lui-même la place d’honneur, devant laquelle était posé le vase d’argent, et me fit signe de me placer à côté de lui.

Vous savez que la sévère et excellente discipline domestique de votre père m’a habitué à entendre invoquer la bénédiction divine, avant de rompre le pain quotidien que l’on nous apprend à demander dans nos prières : — j’hésitais un moment ; et, sans que j’en eusse le dessein, j’imagine que mon air fit comprendre à mon hôte ce que j’attendais. Les deux domestiques, comme j’aurais dû le faire remarquer, étaient déjà assis au bas bout de la table, lorsque mon hôte lança un regard d’une expression toute particulière au vieillard, en disant d’un ton presque ironique : « Cristal Nixon, dites le benedicite ! — monsieur l’attend.»

— Le diable sera clerc et répondra amen, quand je deviendrai chapelain, » grommela Cristal Nixon sur un ton qui aurait convenu à un ours ; « si monsieur est un wigh, qu’il s’amuse à faire ses momeries lui-même ; ma foi n’est ni dans les paroles ni dans les écrits, mais dans le pain de seigle et l’ale double. »

— Mabel Moffat, » reprit mon guide, en regardant la vieille femme et grossissant sa voix sonore, sans doute parce qu’elle avait l’oreille dure, « peux-tu demander à Dieu de bénir nos mets ? »