Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/67

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Mon père rougit, mais fit semblant de ne pas entendre. Bien des fois encore l’étranger se montra sans gêne et sans décence dans les manières, comme dans le ton de sa conversation ; de sorte que, connaissant les préjugés de mon père en faveur du rang et de la naissance, et sachant que son jugement, d’ailleurs très-sain, ne s’est jamais entièrement soustrait à ce respect servile que les grands, aux jours de son enfance, commandaient si impérieusement, je pouvais à peine l’excuser de tolérer tant d’insolence ; — car la chose allait jusque-là — de la part d’un convive qui s’était invité lui-même.

On peut excuser un voyageur avec qui on est dans une voiture, s’il vous marche sur les pieds par accident, ou même par inattention ; mais le cas devient différent lorsque, connaissant le mal qu’il a fait, il continue à vous écraser les pieds avec ses talons. Dans mon opinion — et je suis un homme pacifique — on ne peut alors éviter aisément une déclaration de guerre.

Je crois que mon père lut ma pensée dans mes yeux, car tirant sa montre, il dit : « Alan, il est plus de quatre heures : — il vous faut retourner maintenant à vos études. — Birrenswork vous excusera. »

Notre visiteur fit négligemment un signe de tête, et il ne me resta plus de prétexte pour demeurer. Mais, au moment où je sortais, j’entendis ce magnat de Nitherdale prononcer distinctement le nom de Latimer. Je m’arrêtai ; mais un coup d’œil de mon père me força de me retirer ; quand, une heure après, je fus invité à venir prendre une tasse de thé, notre convive était parti. Il avait affaire le soir dans High-Street, et ne pouvait prendre même le temps de boire le thé. Je ne pus m’empêcher de dire que son départ nous délivrait du moins de son incivilité. « Quel besoin, dis-je, avait-il de nous railler, parce que nous avons transporté notre demeure d’un quartier incommode dans une partie de la ville qui nous convient davantage ? Qu’est-ce que cela lui fait, si nous voulons jouir de la commodité ou du luxe d’une maison anglaise au lieu de vivre empilés les uns sur les autres dans un hôtel ? Sa naissance patricienne et sa fortune aristocratique lui ont-elles donné le droit de censurer des gens qui disposent des fruits de leur industrie suivant leur bon plaisir ?

Mon père prit une grosse prise de tabac, et répondit : « Fort bien, Alan, fort bien, en vérité. Je voudrais que M. Crossbite, ou Pest le conseiller, vous eût entendu ; il aurait reconnu que