Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/120

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que comme étranger d’un pays lointain, qui avait séjourné quelques jours dans la maison de son oncle, mais qu’elle ne pouvait pas s’attendre à revoir jamais. Lorsque cette idée vint rompre la suite de visions romanesques qui passaient devant lui, ce fut comme la piqûre aiguë du harpon qui réveille une baleine engourdie et lui imprime une action violente. Le portail sous lequel le jeune soldat était en faction lui sembla tout-à-coup trop étroit pour lui. Il se précipita vers le pont, le traversa et parcourut rapidement un court espace de terrain en face de la tête du pont, ouvrage de maçonnerie propre à la défense, sur lequel s’appuyait son extrémité extérieure.

Il se promena alors quelque temps sur l’espace étroit où le retenait son devoir de sentinelle, à pas longs et rapides, comme s’il se fût engagé par un vœu à prendre la plus grande quantité possible d’exercice sur ce terrain limité. Ces efforts d’activité produisirent néanmoins l’effet de calmer à un certain point son esprit, de le rappeler à lui-même, et de le faire songer aux raisons nombreuses qui l’empêchaient de fixer son attention, et moins encore sa tendresse, sur cette jeune personne si séduisante qu’elle fût.

« Assurément, pensa-t-il en ralentissant son pas et en posant sa pesante pertuisane sur son épaule, il me reste assez de bon sens pour ne pas oublier ma condition et mes devoirs, pour songer à mon père, aux yeux de qui je remplace tout… et pour penser aussi au déshonneur qui retomberait sur moi si j’étais capable de surprendre les affections d’une fille naïve et confiante, à laquelle je ne puis, comme je le devrais alors, consacrer ma vie en retour. Non, » se dit-il à lui-même, « elle m’oubliera bientôt, et je tâcherai, moi, de ne me la rappeler que comme je me rappellerais un songe agréable qui a égayé un moment une nuit de périls et de dangers, car ma vie semble destinée à n’être jamais autre chose. »

Tout en parlant, il s’arrêta au milieu de sa promenade ; et, tandis qu’il s’appuyait sur son arme, de ses yeux tomba bien malgré lui une larme qui coula le long de ses joues, sans qu’il pensât à l’essuyer. Mais il combattit cet accès d’émotion plus calme, comme il avait auparavant lutté contre un plus vif emportement. Secouant la tristesse et l’abattement d’esprit près de s’emparer de lui, il reprit en même temps l’air et l’attitude d’une sentinelle vigilante, et ramena son attention vers les devoirs de son poste qu’il avait presque oubliés dans le tumulte de ses sentiments. Mais quelle fut sa surprise lorsqu’en regardant le paysage éclairé par la lune bril-