Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/251

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hauteur ; « Et vous, prêtre orgueilleux, vous ignorez aussi que vous êtes dans la compagnie d’un homme dont le secret est beaucoup plus important que le vôtre ne peut l’être. »

Enfin le prêtre fit les avances de la conversation, par une allusion à la réserve qu’ils observaient aussi religieusement que s’ils se la fussent imposée d’un commun accord :

« Nous voyageons donc, dit-il, comme deux puissants magiciens, chacun connaissant ses hauts et secrets desseins, chacun porté sur un char de nuages, mais ni l’un ni l’autre ne communiquant à son compagnon la direction ou le but de sa route. — Excusez-moi, mon père, répondit Philipson, je ne vous ai point demandé à connaître vos projets, et je ne vous ai pas caché en quoi les miens peuvent vous concerner. Je le répète, je me rends à la cour du duc de Bourgogne, et mon but, comme celui de tout autre marchand, est d’y vendre avec profit mes marchandises. — Sans doute, répliqua le prêtre noir, la chose est fort vraisemblable d’après l’extrême attention que vous montriez, il n’y a pas une demi-heure, pour vos marchandises, quand vous ne saviez pas si vos balles avaient passé le fleuve avec votre fils ou restaient sous votre surveillance. Les marchands anglais sont-ils ordinairement si indifférents pour les sources de leurs richesses ? — Quand leur vie est en danger, ils négligent parfois leur fortune. — C’est bien, répliqua le prêtre ; et il reprit ses méditations solitaires jusqu’à ce qu’une autre demi-heure de marche les eût amenés à un village, que le prêtre noir annonça à Philipson être celui où il lui conseillait de passer la nuit.

« Le novice, dit-il, vous montrera l’hôtellerie qui a bonne réputation, et où vous pourrez loger en toute sûreté. Quant à moi, j’ai à visiter dans ce village un pénitent qui désire mon saint ministère… peut-être vous reverrai-je ce soir, peut-être demain au matin seulement ; en tous cas, adieu pour le présent. «

En parlant ainsi, le prêtre fit avancer son cheval, tandis que le novice, se rapprochant de Philipson, le conduisit à travers la rue étroite du village où les fenêtres, laissant échapper çà et là des rayons de lumière, montraient que la nuit était venue. Enfin il fit entrer l’Anglais par un portail dans une sorte de cour où se trouvaient un chariot ou deux d’une forme particulière, employés ordinairement par les femmes lorsqu’elles voyagent, et quelques autres voitures de la même espèce. Là le jeune homme descendit de cheval, et, mettant les rênes dans la main de Philipson, il disparut au milieu des ténèbres croissantes, après avoir indiqué du doigt