Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/394

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exprimer par un salut convenable leur respect et leur affection pour sa personne, salut qui semblait suppléer par la franchise et la cordialité au manque de déférence et de cérémonial.

Cependant René ne semblait s’apercevoir ni des troubadours immobiles qui le contemplaient, ni des passants qui tiraient leur révérence ; son esprit paraissait tout-à-fait absorbé dans le travail apparent de quelque tâche difficile en musique ou en poésie. Il marchait vite ou lentement, selon qu’il convenait mieux au passage de sa composition. Parfois il s’arrêtait pour déposer à la hâte sur ses tablettes quelque chose qui se présentait à son esprit, comme méritant d’être conservé ; d’autres fois il effaçait ce qu’il avait écrit, et jetait son crayon avec une sorte de désespoir. Dans ces occasions, la feuille sibylline qu’il arrachait de ses tablettes était soigneusement ramassée par un beau page composant à lui seul toute sa suite, qui épiait respectueusement la première occasion convenable pour la remettre dans la royale main. Le même jeune homme portait une viole dont il tirait de temps à autre, et au signal de son maître, quelques notes musicales que le vieux roi écoutait, tantôt d’un air calme et satisfait, tantôt d’un visage mécontent et triste. Parfois son enthousiasme s’élevait si haut qu’il allait jusqu’à sauter et bondir avec une activité surprenante pour son âge ; d’autres fois, ses mouvements étaient fort lents, et même souvent il s’arrêtait court, comme un homme plongé dans la plus profonde et la plus inquiète méditation. Quand il lui arrivait de jeter les yeux sur le groupe qui semblait épier tous ses gestes, et qui se hasardait même à le saluer par un murmure approbateur, c’était seulement pour les gratifier d’une inclination de tête amicale et gaie, salutation par laquelle aussi il ne manquait pas de répondre aux révérences des passants ordinaires, quand l’attention soutenue qu’il donnait à son travail, quel qu’il fût, lui permettait de les remarquer.

Enfin l’œil du prince s’arrêta sur Arthur, que son attitude d’observation silencieuse et la noblesse de sa figure lui firent reconnaître pour étranger. René fit signe à son page qui, recevant à voix basse l’ordre de son maître, descendit de la cheminée royale sur la plate-forme d’en dessous, plus large et ouverte aux promeneurs vulgaires. Le jeune homme s’adressant à Arthur avec beaucoup de courtoisie, l’informa que le roi désirait lui parler. Le jeune Anglais sentit qu’il ne pouvait plus se dispenser d’approcher, quoiqu’il ne sût guère comment il devait se comporter à l’égard d’une royauté si singulière. Lorsqu’il fut assez près, le roi René lui