Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/54

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donc pu s’imaginer que le père et le fils se seraient élancés dans les bras l’un de l’autre, et telle était probablement la scène dont Arnold Biederman s’attendait à devenir témoin.

Mais le voyageur anglais, comme bon nombre de ses compatriotes, cachait des sentiments vifs et fougueux sous une apparence de froideur et de réserve ; il croyait qu’il y avait faiblesse à se laisser entièrement dominer par l’influence des émotions même les plus tendres et les plus naturelles. Éminemment belle dans sa jeunesse, sa figure, encore agréable dans un âge plus avancé, avait une expression qui dénotait une répugnance manifeste soit à céder aux passions, soit à encourager la confiance. Il avait accéléré sa démarche lorsqu’il avait aperçu son fils, par un désir naturel de le rejoindre ; mais il ralentit son pas lorsqu’ils s’approchèrent l’un de l’autre ; et quand ils s’abordèrent, il dit d’un ton de reproche et de réprimande plutôt que d’affection : « Arthur, puissent les saints vous pardonner la peine que vous m’avez aujourd’hui causée ! — Amen ! répliqua le jeune homme. Je dois, en effet, avoir besoin de pardon si je vous ai causé de la peine. Croyez pourtant que j’ai fait pour le mieux. — Il est heureux, Arthur, qu’en faisant pour le mieux, c’est-à-dire, qu’en suivant l’impulsion de votre esprit volontaire, vous n’ayez point rencontré le pire des malheurs. — Si je me suis sauvé, c’est grâce à cette jeune fille, » répondit le fils, toujours avec une soumission absolue et patiente, en montrant du doigt Anne, qui se tenait à une distance de quelques pas, désireuse peut-être de n’avoir point à entendre les reproches du père, qui pouvaient lui paraître mal placés et déraisonnables.

« J’offrirai mes remercîments à mademoiselle, lorsque je parviendrai à savoir comment je peux les lui témoigner d’une manière convenable, répliqua le père ; mais est-il bien, est-il décent, croyez-vous, de recevoir d’une jeune fille un secours que votre devoir, en qualité d’homme, vous commande de prêter au sexe le plus faible ? »

Arthur baissa la tête et rougit profondément, tandis qu’Arnold Biederman, cédant à l’émotion que lui inspirait ce spectacle, s’avança et vint se mêler à la conversation. — Ne rougissez pas, mon jeune hôte, dit il, d’être redevable, soit d’un conseil soit d’une heureuse assistance, à une femme d’Underwalden. Sachez que la liberté de ce pays ne doit pas moins à la fermeté et à la sagesse de ses filles qu’à celles de ses fils… Et vous, mon respectable hôte, qui avez, je pense, vu de nombreuses années et des pays différents,