Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/129

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complétaient son accoutrement qui, quoique loin d’être neuf, était conservé comme habit de fête et tenu en bon état à force de soins. Elle semblait âgée de vingt-cinq ans ; mais peut-être la fatigue et les chagrins avaient-ils devancé la main du temps, pour effacer la fraîcheur de la jeunesse.

Nous avons dit que les manières de la chanteuse étaient gracieuses, et nous pouvons ajouter que son sourire et ses reparties étaient toujours vives ; mais sa gaieté était de commande, comme une qualité essentiellement nécessaire à son état, et une des misères de cette profession, c’était de forcer à cacher des peines de cœur sous un sourire menteur. Telle semblait la position de Louise qui, soit qu’elle fût réellement l’héroïne de sa chanson, ou qu’elle eût quelque autre motif de tristesse, montrait parfois une suite de pensées profondément mélancoliques qui l’empêchait de s’exprimer avec la vivacité d’esprit nécessaire aux adeptes de la gaie science. Elle n’avait pas non plus, même dans les saillies les plus gaies, la hardiesse et l’effronterie de ses sœurs, qui manquaient rarement de relancer une plaisanterie équivoque, et de tourner les rires contre ceux qui les interrompaient ou les plaisantaient.

On peut ici remarquer qu’il était impossible que cette classe de femmes, fort nombreuse à cette époque, put avoir un caractère généralement respectable. Elles étaient néanmoins protégées par les usages du temps, et tels étaient les privilèges qu’elles possédaient par le code de la chevalerie, que rien n’était plus rare que de voir ces demoiselles errantes éprouver quelque dommage ; elles passaient et repassaient en sûreté par où des voyageurs armés eussent probablement rencontré une opposition sanglante. Mais quoique tolérés et protégés, par respect pour leur art, les ménestrels hommes ou femmes, comme tous ceux qui pourvoient à l’amusement du public, comme, par exemple, les comédiens ambulants de nos jours, menaient une vie trop irrégulière et trop précaire, pour être comptés comme une honnête partie de la société. Parmi les catholiques sévères, cette profession était même considérée comme coupable.

Telle était la demoiselle qui, placée sur la légère élévation dont nous avons parlé, s’annonçait comme ayant reçu le titre de maîtresse en la gaie science en la cour d’amour et de musique, tenue à Aix en Provence, sous la présidence de la fleur de la chevalerie, le galant comte Aymer ; elle suppliait les guerriers