Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/212

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— Soit ; mais j’ai à causer un instant avec toi, » répliqua Olivier, qui, effrayé de rester, n’était pourtant guère disposé à partir. « Il y a eu tapage dans notre conseil de ville pour l’affaire de la veille de la Saint-Valentin ; le prévôt m’a dit, il n’y a pas quatre heures, que Douglas et lui étaient convenus de faire vider la querelle par un seul combattant de part et d’autre. Notre connaissance, Dick du Diable, passant par-dessus sa gentilhommerie, soutiendrait la cause de Douglas et des nobles, et vous ou moi nous combattrions pour la jolie ville. Or, quoique je sois doyen des bourgeois, je veux bien pourtant, vu l’amitié et la tendresse que nous eûmes toujours l’un pour l’autre, te laisser la préséance, et me contenter du rôle plus humble de second[1]. »

Henri, malgré sa tristesse, put à peine s’empêcher de rire.

« Si c’est là, dit-il, ce qui trouble ton repos et te retient hors du lit à minuit, j’aurai bientôt accommodé l’affaire. Tu ne perdras point l’honneur qu’on te propose. J’ai eu des vingtaines de duels… J’en ai eu beaucoup, beaucoup trop. Quant à toi, jusqu’à présent tu ne t’es mesuré, je pense, qu’avec ton soudan de bois… Il serait injuste à moi… inconvenant… infâme d’accepter ton offre amicale. Retourne chez toi, brave gaillard, et que la crainte de perdre un tel honneur ne trouble point ton sommeil. Sois sûr que c’est toi qui combattras, comme cela est juste, puisque c’est toi que ce fier cavalier a insulté. — Grand merci, merci de tout mon cœur, » dit Olivier très-embarrassé de la déférence inattendue de son ami ; « tu es bien le bon compère que j’ai toujours cru trouver en toi ; mais j’ai autant d’amitié pour Henri Smith qu’il en a pour Olivier Proudfute. J’en jure par saint Jean ! je ne combattrai pas dans cette querelle à ton préjudice. Après ce serment, je suis sûr de ne point succomber à la tentation ; car tu ne voudrais pas me faire manquer à ma parole, quand il s’agirait de vingt duels. — Allons, dit l’armurier, avoue que tu as peur, Olivier ; dis l’honnête vérité une fois dans ta vie, autrement je te laisse le soin de vider ta querelle. — Mais, mon compère, tu sais que je n’ai jamais peur. Cependant c’est un bandit bien résolu ; et comme j’ai une femme… la pauvre Madeleine, tu sais… et une petite famille, et que toi… — Et que moi, » interrompit Smith brusquement, « je n’en ai pas, et je n’en aurai jamais. — Bah !

  1. En anglais, sticker ; les seconds dans les combats singuliers d’autrefois s’appelaient ainsi parce qu’ils portaient des bâtons (sticks) blancs en signe de leurs fonctions, qui étaient de veiller à ce que tout se passât selon les règles.