Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/10

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petit nombre. — Tout au contraire, répond Carrasco, car, comme infinitus est numerus slultorum, un nombre infini de personnes ont admiré votre histoire. Seulement il y en a quelques unes qui ont accusé l’auteur d’un défaut de mémoire ou de sincérité : premièrement il a oublié de dire quel était l’individu qui vola le grison de Sancho, seulement l’histoire nous apprend qu’il fut volé ; et nous retrouvons bientôt Sancho monté sur le même âne, sans que nous ayons préalablement reçu aucun éclaircissement à ce sujet. Ensuite l’auteur ne dit pas au lecteur ce que Sancho fit des cent pièces d’or qu’il trouva dans le porte-manteau sur la Sierra Morena ; il n’en dit plus un mot par la suite ; or beaucoup de gens désireraient fort savoir comment Sancho les dépensa : et c’est un point défectueux de l’ouvrage. »

Aucun lecteur n’a oublié la manière amusante dont Sancho éclaircit les passages obscurs désignés par le bachelier Carrasco ; mais il resta encore assez de semblables lacunœ, inadvertances et erreurs, pour exercer la verve des critiques espagnols qui avaient trop bonne opinion d’eux-mêmes pour profiter de la leçon qui leur était offerte dans la simple et modeste apologie de l’immortel auteur.

On ne peut douter que, si Cervantès n’eût pas jugé au dessous de lui de faire valoir un semblable moyen, il eût pu aussi alléguer le mauvais état de santé dont il fut affligé pendant qu’il finissait la seconde partie de son Don Quichotte. Il est évident du reste que les intervalles de la maladie qui tourmentait alors Cervantès n’étaient pas les plus favorables du monde pour revoir des compositions légères, et corriger au moins les imperfections et les fautes les plus grossières que chaque auteur devrait, ne fût-ce que par pudeur, faire disparaître de son ouvrage avant de le produire au grand jour, car elles ne peuvent manquer d’être aperçues, ni de trouver des personnes éclairées qui seront trop heureuses de se charger du rôle de les faire connaître.

Il est plus que temps d’expliquer dans quelle intention nous avons rappelé longuement au souvenir du lecteur le grand nombre de fautes légères de l’inimitable Cervantès, et les passages dans lesquels il a plutôt défié ses ennemis que plaidé pour sa justification ; car je suppose que l’on reconnaîtra aisément qu’il existe trop de distance entre nous et ce grand génie de l’Espagne, pour qu’il nous soit permis de nous couvrir d’un bouclier qui n’était formidable que par le bras puissant auquel il était attaché.