Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/220

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mentable monologue. La vérité est qu’elle crut reconnaître dans la personne de l’étranger l’un de ces utiles messagers du commerce, désignés par eux-mêmes et par les garçons d’auberge sous le nom de Voyageurs par excellence, tandis que les autres les appellent colporteurs ou porte-balles[1]. Or, Meg avait des préjugés particuliers contre cette classe de chalands, parce que le village de Saint-Ronan ne possédant pas de boutiques, lesdits émissaires du commerce, pour la convenance de leur trafic, se logeaient toujours à l’hôtel ou nouvelle auberge dans le village rival qui s’élevait sous le nom des Eaux de Saint-Ronan : néanmoins le hasard ou une impérieuse nécessité pouvait forcer quelque traîneur à se loger dans la Vieille-Ville, nom que l’on commençait à donner généralement au lieu où résidait Meg. À peine eut-elle donc conjecturé, trop à la hâte sans doute, que l’individu en question appartenait à cette classe maudite, elle reprit ses occupations, et continua aussitôt ses apostrophes aux servantes absentes, sans paraître même s’apercevoir de la présence de l’étranger.

« Cette salope de Beenie… cette imbécile d’Eppie… cette race du diable ! Une autre assiette de partie… elles me mettront sur le pavé à force de casser. »

Le voyageur, qui, sa valise posée sur le dos d’une chaise, avait attendu en silence quelque marque de bienvenue, s’aperçut alors qu’esprit ou non[2] il lui fallait parler le premier s’il voulait obtenir un seul mot.

« Nous sommes de vieilles connaissances, mademoiselle Marguerite Dods, dit l’étranger. — Pourquoi non ?… mais qui êtes-vous, vous qui parlez ? » dit Meg tout d’une haleine ; et elle se remit à nettoyer un chandelier de cuivre avec plus de force qu’auparavant… Le ton sec dont elle parlait indiquait clairement d’ailleurs combien peu elle se souciait de la conversation.

« Un voyageur, ma bonne mistress Dods, qui vient loger ici pour un jour ou deux. — Je crains que vous ne vous trompiez ; il n’y a pas de place ici pour des ballots ou des cartons… vous vous

  1. Bagmen, dit le texte, pour signifier un homme voyageant à cheval avec une valise. Bagman, singulier de bagmen, est un terme de mépris pour désigner un commis voyageur. a. m.
  2. Ghost or no ghost, c’est-à-dire revenant ou non revenant. Ceci est une allusion à une superstition du peuple écossais : on croit que celui qui adresse la parole à un revenant avant d’être interpellé par lui court le risque de mourir avant la fin de l’année. a. m.