Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/275

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« Pauvre Tyrrel ! » reprit Clara après un intervalle de silence… « pauvre Frank Tyrrel !… Peut-être direz-vous à votre tour : Pauvre Clara !… mais je ne suis pas si pauvre que vous en courage… La tempête peut me faire plier, elle ne me renversera jamais. »

Il y eut encore une longue pause, car Tyrrel ne savait sur quel ton il pourrait adresser la parole à cette jeune infortunée, sans réveiller des souvenirs à la fois pénibles à son cœur, et dangereux en raison de l’état précaire de sa santé.

Enfin elle continua elle-même :

« À quoi bon tout cela ? Tyrrel…. et même pourquoi êtes-vous venu ici ?… pourquoi, il n’y a qu’un instant, vous ai-je trouvé criant et querellant parmi les plus grands criailleurs et les plus grands querelleurs du monde ?… Vous aviez plus de retenue… plus de raison. Un autre… oui, un autre, que vous et moi avons connu autrefois… eût pu commettre une pareille folie, et il eût agi peut-être conséquemment avec lui-même ; mais vous qui prétendez à la sagesse… fi ! fi ! et même, puisque nous en parlons, quelle sagesse y avait-il à venir en aucune façon ?… quel bien peut amener votre séjour ? Assurément vous n’avez pas besoin de renouveler le sentiment de votre propre malheur, ou d’augmenter le mien. — Augmenter le vôtre… Dieu m’en préserve !… répondit Tyrrel. Non… je suis venu ici parce que, après avoir erré tant d’années, il me tardait de revoir le lieu où toutes mes espérances étaient ensevelies. — Oui… ensevelies est le mot, répliqua-t-elle, ruinées et ensevelies ; la tige en a été brisée lorsqu’elle promettait le plus de fleurs. J’y pense souvent, Tyrrel, et il y a des moments où, Dieu me soit en aide ! je ne puis guère penser à autre chose… Regardez moi… vous vous rappelez ce que j’étais… voyez ce que le chagrin et la solitude m’ont faite. »

Elle rejeta le voile qui entourait son chapeau de feutre, et qui lui avait jusqu’alors caché le visage. C’étaient les mêmes traits qu’il avait connus autrefois dans toute la fraîcheur de la beauté ; mais quoique la beauté restât encore, la fraîcheur avait disparu pour jamais… Ni l’agitation produite par l’exercice… ni celle qui naissait de la douleur et de la confusion de cette entrevue si soudaine, n’avaient pu faire monter aux joues de la pauvre Clara une teinte momentanée de rougeur : blanche comme le marbre, on l’aurait prise pour une belle statue.

« Est-il possible ! s’écria involontairement Tyrrel, le chagrin peut-il avoir fait de tels ravages ? — Le chagrin, répliqua Clara,