Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/340

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sentit ébranlé dans son opinion première, et sortant tout-à-coup de la rêverie dans laquelle il était tombé, il demanda le messager qui avait apporté la lettre. Un domestique lui répondit qu’il était dans le vestibule, et Mowbray y descendit sur-le-champ ; mais il n’y trouva plus l’exprès, seulement il l’aperçut au bout de l’avenue, qui s’en allait tranquillement. Il l’appela à grands cris, mais vainement : alors il se mit à courir après le drôle qui, se voyant poursuivi, doubla le pas et se jeta dans le bois taillis qui entourait le château. Après avoir couru quelque temps sans succès, il se rappela enfin que la visite du comte d’Étherington nécessitait sa présence au château, et qu’il n’avait pas de temps à perdre.

En effet le jeune lord était arrivé à Shaws si peu de minutes après le départ de Mowbray qu’il était étonnant qu’ils ne se fussent pas rencontrés dans l’avenue. Le domestique auquel il s’adressa, s’imaginant que son maître ne tarderait pas à rentrer, puisqu’il était sorti sans chapeau, introduisit le comte, sans plus de cérémonie, dans la salle où l’on venait de déjeuner et où Clara était assise près d’une fenêtre. Elle était si occupée d’un livre qu’elle lisait, ou peut-être de ses propres pensées, qu’elle ne leva la tête qu’au moment où lord Étherington s’avançant, prononça ces mots : « Miss Mowbray ! » Un tressaillement involontaire et un grand cri annoncèrent ses mortelles alarmes, et elle poussa un nouveau cri en tressaillant encore, lorsqu’il fit un nouveau pas vers elle, et dit d’un ton plus assuré : « Clara ! — N’avancez plus… n’avancez plus, s’écria-t-elle, si vous voulez que je vous voie sans mourir ! » Lord Étherington demeura immobile, comme ne sachant s’il devait s’approcher encore ou reculer, tandis qu’avec une incroyable volubilité elle lui débitait prières sur prières pour qu’il s’éloignât ; tantôt lui parlant comme à un être réel, tantôt, et plus souvent, comme à un fantôme trompeur que créait son imagination troublée. « Je le savais, murmurait-elle, je savais ce qui arriverait si l’on forçait mes pensées à suivre ce terrible cours… Parlez-moi, mon frère ! parlez-moi pendant qu’il me reste encore un peu de raison, et dites-moi que ce qui paraît devant mes yeux n’est qu’une ombre vaine ! mais ce n’est pas une ombre… Je vois toutes les apparences d’une substance humaine dans ce qui se trouve là devant moi ! — Clara, » dit le comte d’une voix ferme, mais adoucie, « non, je ne suis pas une ombre… je suis un homme indignement calomnié ; je viens réclamer des droits qu’on m’a injustement enlevés. Je suis maintenant armé de pouvoir comme de justice, et mes réclamations