Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/390

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miné à se fâcher contre tout le monde, excepté contre lui-même, qui était la véritable cause du mal. — Et pourquoi au diable le pauvre Burns ? » répliqua Clara avec sang-froid ; est-ce sa faute si vous avez perdu ce soir au jeu ? car c’est là, je suppose, la cause de tout ce tapage. — Qui ne perdrait patience, répondit Mowbray, en entendant citer les rapsodies d’un paysan sans souliers, quand on parle de la ruine d’une ancienne famille ? Votre garçon de ferme, je suppose, s’il devenait un degré plus pauvre qu’il ne l’était, en serait quitte pour ne pas dîner, ou pour se passer de sa ration d’ale ordinaire. Ses camarades diraient : « Le pauvre garçon ! » et ils le laisseraient manger à leur plat et boire à leur pot jusqu’à ce que le sien fût rempli de nouveau. Mais le gentilhomme pauvre… l’homme comme il faut ruiné, l’homme bien né… tombé dans sa misère, l’homme puissant… dépouillé de sa puissance et de son crédit, c’est lui qui est à plaindre, car il ne perd pas seulement un dîner, il perd son honneur, son rang, sa position sociale, sa considération, son nom même. — Vous parlez de la sorte, répondit Clara, pour m’effrayer ; mais, mon cher John, je vous connais, et je me suis préparée à tout ce qui peut arriver. Je vous dirai plus… je suis demeurée si long-temps sur le pinacle chancelant du rang et de la fortune, si l’on peut appeler ainsi notre situation dans le monde, que ma tête commence à tourner. Je sens le désir de m’en précipiter, comme on dit que cela arrive à certaines personnes quand elles sont au haut d’une tour. Je voudrais que le saut fût déjà fait. — Soyez donc satisfaite, si pareille nouvelle peut donner de la satisfaction. Le saut est fait et nous sommes… ce qu’on appelle en Écosse… des nobles mendiants… des gens à qui nos cousins du second degré, du troisième, du quatrième et du cinquième, s’il leur plaît, donneront une place au bas bout de la table, et dans leur voiture à côté de la femme de chambre, si nous pouvons aller à reculons sans être indisposés. — Ils peuvent donner cette place à ceux qui la voudront, répondit Clara, mais je suis déterminée à ne manger que le pain que j’achèterai. Il y a cent choses que je peux faire, et je suis sûre que l’une ou l’autre me procurera le peu d’argent dont j’ai besoin. J’ai essayé de calculer, pendant plusieurs mois, combien il me faudrait pour vivre, et vous seriez étonné, John, si vous voyiez à combien peu cela se monte. — Il y a de la différence, Clara, entre un essai fait à plaisir et la pauvreté réelle : l’une est la fiction que nous pouvons terminer quand il nous plaît, l’autre est la misère pour toute la vie. — Vous feriez mieux, mon frère, ré-