Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/168

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comme une faiblesse dans quelques-uns de ses voisins, et particulièrement dans la pauvre veuve Butler. Aussi, d’après la rareté même de telles émotions chez cet homme habitué à comprimer tous ses sentiments, ses enfants attachaient un intérêt solennel aux marques d’affection qu’il laissait échapper, et les regardaient comme une preuve que son cœur en était trop rempli pour pouvoir les contenir.

Ce fut donc avec une émotion profonde qu’il donna et que sa fille reçut sa bénédiction paternelle et ses caresses. « Et vous, ô mon père ! s’écria Jeanie quand la porte se fut refermée sur le vénérable vieillard, puissent toutes les bénédictions du ciel se rassembler sur vous, sur vous qui marchez dans ce monde comme si vous n’étiez pas de ce monde, qui regardez tout ce qu’il peut donner ou enlever comme des moucherons que le soleil levant fait éclore et que le soir détruit ! »

Alors elle se prépara pour la course de la nuit. Son père couchait dans une autre partie de la chaumière, et, régulier dans toutes ses habitudes, il ne sortait jamais ou rarement de sa chambre quand il y était entré. Il fut donc facile à Jeanie de quitter la maison sans être vue, quand approcha l’heure du rendez-vous. Mais la démarche qu’elle allait faire, bien qu’elle n’eût rien à craindre de son père, lui semblait pleine de difficultés et de périls. Elle avait passé sa vie dans la paisible solitude de cette demeure tranquille et monotone. L’heure qu’aujourd’hui les filles de sa condition, aussi bien que les demoiselles d’un rang plus élevé, ; regarderaient comme devant ouvrir les plaisirs du soir, avait à ses yeux quelque chose de grave et de solennel ; et la résolution qu’elle avait prise était si étrange, si hasardeuse, qu’elle en était effrayée, quand approcha l’instant de la mettre à exécution. Ses mains tremblèrent en attachant ses beaux cheveux sous un snood, seul ornement de tête que portassent alors les jeunes filles jusqu’à leur mariage, et en ajustant le plaid écarlate que portaient les femmes écossaises, vêtement assez semblable au voile de soie noire qui couvre les femmes des Pays-Bas. Le sentiment de l’inconvenance et du danger de sa démarche se présenta vivement à elle, quand elle quitta le seuil de la maison paternelle pour une course si aventureuse, à une heure si avancée, sans défense, et à l’insu de son protecteur naturel.

Quand elle se trouva en plein champ, de nouveaux sujets de craintes s’offrirent en foule. Les buttes sombres, les débris de ro-