Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/478

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M. Patrick Walker, il exprima sa surprise qu’un pistolet aussi petit eût pu tuer un homme de cette taille. Voici les expressions de ce respectable biographe, qui n’avait pas appris par expérience qu’en pareille circonstance une arme d’un pouce de long en valait une d’une aune. « Francis Gordon reçut dans la tête un coup d’un petit pistolet de poche, lequel semblait plutôt fait pour servir de jouet à un enfant que propre à tuer un homme aussi fort, aussi violent, et qui pourtant l’étendit mort[1]. »

  1. Il paraît que Patrick Walker tirait vanité de l’exploit dont il est ici question, et il y a lieu de craindre que cet excellent personnage n’eût été fort irrité qu’on cherchât à lui en associer un autre pour le massacre d’un garde-du-corps du roi. Il aurait eu d’autant plus de droit de s’offenser de voir un autre en partager la gloire, qu’outre qu’ils étaient trois contre Gordon, ils avaient encore l’avantage des armes à feu.
    La manière dont il justifie ses droits à cet exploit, sans pourtant se compromettre par aucun aveu direct, est vraiment curieuse.
    Voici comment il s’exprime :
    « Je vais faire un récit bref et véridique de la mort de cet homme, ce qui d’abord n’avait pas été mon intention, décidé maintenant, si telle est la volonté du Seigneur, à donner des détails exacts sur cet événement et d’autres non moins remarquables, qui, par les décrets de la Providence, me sont arrivés dans ce monde. Ce Francis Gordon passait généralement pour être entré dans les volontaires avec de mauvaises intentions ; il ne pouvait rester tranquille dans sa troupe, il fallait toujours qu’il allât à la découverte de ceux qui se cachaient pour se soustraire aux persécutions. Les troupes de Meldrum et d’Airly étant à Lanark le premier jour de mars 1682, M. Gordon et un autre de ses camarades, aussi méchant que lui, avec deux domestiques et quatre chevaux, vinrent à Killaigow, à deux milles de Lanark, pour y chercher William Caigow et d’autres qui s’y tenaient cachés.
    « M. Gordon, en traversant la ville, se permit des impertinences avec les femmes. À la nuit, il alla à un mille de là dans un endroit nommé Esaler-Seat, chez un nommé Robert Muir, qui se cachait aussi. Le camarade de Gordon et les deux domestiques allèrent se coucher ; mais lui ne put dormir, criant toute la nuit après les femmes. Quand le jour vint, il prit son épée et se rendit à Moss-Platt ; quelques-uns des nôtres, qui avaient passé toute la nuit dans les champs, se mirent à fuir quand ils l’aperçurent : ils les poursuivit. Jacques Wilson, Thomas Young et moi-même, ayant été en assemblée toute la nuit, nous nous étions couchés vers le matin. Nous fûmes alarmés, pensant qu’ils étaient plus d’un sur nos traces : Gordon nous poursuivit si bien qu’il nous atteignit. Thomas Young lui dit : « Monsieur, pourquoi nous poursuivez-vous ? » Il répondit qu’il voulait nous envoyer dans l’enfer. Jacques Wiison dit : « Cela ne sera pas, car nous nous défendrons. » Gordon répondit que lui ou nous allions y aller. Et en disant ces mots il frappa Jacques Wilson de son épée, avec une fureur si aveugle qu’il ne fit que traverser l’habit de celui-ci. Jacques tira sur lui et le manqua. Pendant ce temps il criait que son âme était damnée. À la fin Gordon reçut une balle dans la tête, d’un petit pistolet de poche, plutôt fait pour amuser un enfant que pour tuer un homme si violent et si furieux, et qui cependant l’étendit mort. Ledit William Caigow et Robert Muir nous joignirent en ce moment. Nous le fouillâmes pour savoir s’il avait des papiers, et nous trouvâmes sur lui une longue liste contenant les noms des victimes destinées à la mort ou à la prison. Je la déchirai en mille morceaux. Il avait aussi quelques livres papistes et des billets à ordre que nous remîmes dans sa poche. Il en était tombé un dollar qui fut ramassé par un pauvre homme. C’est ainsi que Gordon alla, à quatre milles de Lanark, et a près d’un mille de son camarade, chercher la mort, et qu’il l’y trouva. Et quoique nous ayons été condamnés pour cela, je ne comprends pas comment personne a pu condamner des gens qui agissaient dans leur propre défense, ce que les lois de Dieu et celle de la nature permettent à tous les hommes. Quant à moi, ma conscience ne m’a jamais rien reproché à ce sujet. Quand je vis son sang couler, j’aurais voulu que le sang de tous les ennemis déclarés du Seigneur qui sont en Écosse eût été dans ses veines ; je me serais réjoui de le voir s’épuiser jusqu’à la dernière goutte dans cette occasion. Je me suis souvent étonné de voir comment la plupart des ministres de ce temps, pleins de tiédeur pour les intérêts de la religion, criaient à l’assassinat, et faisaient plus de bruit quand il nous arrivait de tuer un de nos ennemis en nous défendant, que lorsque vingt de nous étaient massacrés par ceux-ci. Aucun des hommes présents dans cette occasion ne fut interpellé pour ce fait que moi. »
    Thomas Young fut ensuite exécuté à Machline, mais non pas pour cette affaire ; Robert Muir fut banni ; Jacques Wilson survécut à la persécution ; William Caigow mourut dans la prison de Canongate au commencement de 1685. M. Wodrew est mal informé quand il dit qu’il a souffert la mort.