Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/503

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tint ses regards fixés sur les figures de ses compagnons, qui se dessinaient vaguement et diminuaient peu à peu à ses yeux à mesure qu’ils s’éloignaient, tandis que le chant mélancolique des bateliers, affaibli par l’éloignement, résonnait agréablement à son oreille, jusqu’à ce qu’enfin la barque tourna le promontoire et disparut à ses yeux.

Cependant Jeanie, toujours dans la même posture, continuait de fixer ses yeux sur la mer. Elle savait qu’il s’écoulerait encore du temps avant que ses compagnons arrivassent au château, le point de débarquement vers lequel ils se dirigeaient étant beaucoup plus éloigné que celui où elle était, et elle profita avec joie de cette occasion pour s’abandonner librement à ses pensées.

Elle se mit à réfléchir sur le changement que quelques semaines avaient apporté dans sa position ; et en se retraçant les divers événements qui l’avaient fait passer d’un état de honte, de douleur et même de désespoir, à une situation honorable, et qui lui présentait la plus douce perspective de bonheur, son cœur se gonfla d’une émotion qui remplit ses yeux de larmes. Cependant une autre cause les faisait aussi couler. Comme la félicité humaine n’est jamais parfaite, et comme les âmes bien nées ne sentent jamais plus vivement le malheur de ceux qu’elles aiment que lorsque leur propre situation semble offrir un contraste avec la leur, les regrets de Jeanie se tournèrent sur le sort de sa pauvre sœur, de cette enfant objet de si douces espérances, chérie depuis tant d’années, maintenant proscrite, et, ce qui était pis encore, soumise à la volonté d’un homme dont elle avait lieu de concevoir la plus mauvaise opinion, et qui même, au milieu de ses plus violents accès de remords, paraissait étranger à un véritable repentir.

Pendant qu’elle était livrée à ces pensées mélancoliques, Jeanie crut voir l’ombre d’une figure humaine se détacher du petit bois taillis qui était à sa droite : elle tressaillit ; et les histoires qu’elle avait entendu raconter des apparitions et des esprits qui s’étaient offerts au voyageur solitaire dans des sites aussi sauvages, et à de semblables heures, vinrent soudainement se retracer à son imagination. La figure continua de se glisser légèrement de son côté, et lorsqu’elle fut éclairée par les rayons de la lune, elle reconnut que c’était celle d’une femme. Une voix douce appela deux fois : Jeanie Jeanie ! Se trompait-elle ? était-ce bien la voix de sa sœur ? Appartenait-elle encore à la terre des vivants,