Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/28

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n’étaient-ils pas pourvus ; car l’épée large, aiguë et à deux tranchants qu’ils portaient était un autre présent des Romains. La plupart d’entre eux avaient aussi un couteau de bois ou poignard. Il y avait en outre une quantité innombrable de javelines, de dards, d’arcs, de flèches, de piques, de hallebardes, de haches danoises et de crochets, ainsi que de lances du pays de Galles ; de sorte que, dans le cas où quelque querelle se fût élevée pendant le repas, rien n’eût empêché le sang de couler, car les armes ne manquaient pas.

Mais quoique le festin présentât quelque désordre, et que les assistants ne fussent point retenus par les strictes règles qu’imposaient les lois de la chevalerie, le banquet pascal de Gwenwyn promettait, par la présence de douze bardes renommés, une source de jouissances qui tenaient de l’extase, et dont les fiers Normands n’auraient pu jouir avec autant de délices. Ceux-ci, il est vrai, avaient leurs ménestrels, espèces d’hommes livrés, dès leur bas âge, à l’étude de la poésie, des chansons et de la musique ; mais, quoique ces arts fussent très-honorés, et que ceux qui les professaient reçussent souvent de riches récompenses lorsqu’ils étaient doués de talents extraordinaires, la classe des ménestrels n’était que fort peu considérée, étant particulièrement composée de vagabonds vils et dissolus, qui n’exerçaient cet art que par fainéantise, et pour trouver les moyens de mener une vie errante et dissipée. Telle a été dans tous les temps la censure à laquelle sont en butte les gens qui se destinent à amuser le public ; ceux d’entre eux qui se distinguent par un mérite extraordinaire sont quelquefois élevés au plus haut point de la vie sociale ; le reste, ce qui compose la partie la plus nombreuse, rampe dans les derniers rangs de la société. Mais il n’en était pas ainsi à l’égard des bardes gallois, qui, ayant succédé à la dignité des druides, sous lesquels ils avaient originairement formé un corps subalterne, avaient beaucoup de privilèges, jouissaient du respect et de l’estime générale, et exerçaient une notable influence sur leurs concitoyens. Leur pouvoir sur l’esprit public rivalisait même celui des prêtres, avec lesquels ils avaient, en effet, quelques points de ressemblance ; car ils ne portaient jamais d’armes, et étaient initiés dans leurs ordres par le secret et par des solennités mystiques ; un hommage était rendu à leur awen[1], espèce d’inspiration publique que l’on vénérait comme si elle eût été douée d’un caractère divin.

  1. Mot qui proprement signifie présage. a. m.