Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/283

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qu’il croyait due à ses services en le disculpant des soupçons de Guarine, néanmoins, au fond de son cœur, il les avait quelquefois partagés, et se reprochait souvent, en homme juste et honnête, de douter, d’après le léger témoignage des regards, et quelquefois, d’après des expressions en l’air, d’une fidélité que plus d’une action de zèle et d’intégrité semblait avoir prouvée.

Quand Vidal arriva et descendit de cheval pour saluer son maître, ce dernier se hâta de lui parler avec bonté, comme s’il sentait qu’en écoutant Guarine il avait en quelque sorte partagé les soupçons injustes de son écuyer. « Sois le bienvenu, mon fidèle Vidal, dit-il ; tu as été le corbeau qui nous a nourris dans les montagnes du pays de Galles, sois maintenant la colombe qui nous rapporte de bonnes nouvelles des Marches. Tu gardes le silence ! que signifie ces yeux baissés, ce maintien embarrassé, ce bonnet enfoncé sur tes yeux ?… Au nom de Dieu, parle ! ne crains pas pour moi, je puis supporter plus de malheurs que la voix de l’homme n’en peut dire. Tu m’as vu dans les guerres de la Palestine, quand mes braves serviteurs tombèrent l’un après l’autre autour de moi, et quand je me vis demeurer presque seul ; ai-je pâli alors ? Tu m’as vu quand la quille du vaisseau était enfoncée sur le roc, et que les vagues écumantes roulaient sur le tillac ; ai-je pâli alors ?… Non, et je ne pâlirai pas à présent.

— Ne vous vantez pas, » dit le ménestrel en regardant fixement le connétable, pendant que celui-ci prenait le maintien d’un homme qui défie la fortune et son courroux ; « ne vous vantez pas de peur que vous ne soyez plus lié que vous ne le voudriez. »

Il y eut une pause d’une minute, pendant laquelle le groupe formait un singulier tableau. Craignant de faire des questions, et cependant honteux de paraître craindre les mauvaises nouvelles qui le menaçaient, le connétable regardait son messager la tête levée, les bras croisés, et le front armé de résolution ; tandis que le ménestrel, que l’intérêt du moment avait fait sortir de son apathie ordinaire, fixait sur son maître un regard perçant, comme pour démêler si son courage était réel ou factice.

D’une autre part, Philippe Guarine, à qui la nature, en lui donnant un extérieur grossier, n’avait pas refusé le jugement et un esprit observateur, tenait aussi ses yeux attachés sur Vidal, cherchant à deviner quel était le caractère de cet intérêt profond qui paraissait briller dans les regards du ménestrel, car il ne pouvait