Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/306

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mait le gosier ou l’appétit. Après une vaine tentative pour avaler un morceau de pain, il le jeta loin de lui avec dégoût, et recourut à une petite gourde dans laquelle était du vin ou une autre liqueur ; mais apparemment ceci non plus n’était pas de son goût, car il jeta au loin sa valise et la bouteille ; et se penchant vers la source, y but à longs traits, y baigna ses mains et son visage ; et quittant la fontaine avec l’air d’être rafraîchi, il reprit lentement son chemin, chantant, d’un ton bas et mélancolique, des fragments de vieille poésie dans une ancienne langue. Tout en voyageant avec cet air triste, il arriva enfin près du pont du combat, à côté duquel s’élevaient avec orgueil les tours du célèbre château de Garde-Douloureuse. « C’est donc ici, dit-il… ici que je dois attendre le fier de Lacy. Qu’il en soit ainsi, mon Dieu !… Il me connaîtra mieux avant que nous nous séparions. »

En disant ces mots, il traversa le pont d’un pas allongé et résolu ; et, gravissant un monticule qui s’élevait à quelque distance sur la rive opposée, il contempla pendant quelque temps la scène placée au-dessous de lui, la magnifique rivière, riche des teintes du couchant qu’elle réfléchissait, les arbres qui se dépouillaient déjà, et que l’approche de l’automne faisait paraître plus sombres à l’imagination, les murs et les tours noirâtres du château féodal, d’où parfois partait un éclair de lumière à mesure que les armes de quelque sentinelle recevaient un rayon passager du soleil couchant.

La figure du ménestrel, qui avait jusqu’alors été sombre et troublée, sembla s’adoucir par la tranquillité de cette scène. Il détacha son vêtement de pèlerin, et laissa une partie de ses longs plis retomber autour de lui comme un manteau, sous lequel on voyait sa cotte de ménestrel. Il prit à son côté une rote (espèce de viole dont on jouait au moyen d’une petite roue), et faisant entendre de temps en temps un air gallois, il chanta un lai dont nous ne pouvons offrir que quelques fragments traduits littéralement de l’ancienne langue dans laquelle il le composait ; nous dirons que ces vers sont dans ce genre de poésie symbolique que Taliessin, Klewarch Hen, et autres bardes, avaient peut-être emprunté des anciens druides.