Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/93

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coulaient de ses yeux par torrents ; ses sanglots devinrent si convulsifs, que Rose craignit qu’elle ne succombât à sa douleur. L’affection et la sympathie qui l’attachaient à sa maîtresse lui inspirèrent le parti le plus convenable à la position d’Éveline. Elle ne chercha point à arrêter dans son cours la douleur à laquelle la fille de Raymond était en proie ; mais elle s’assit à ses côtés, et, saisissant la main immobile qui était près d’elle, elle la pressa alternativement sur ses lèvres, sur son sein et sur son front, la couvrit tantôt de baisers, tantôt de larmes. Après ces marques de la sympathie la plus humble et la plus respectueuse, elle attendit un instant propice pour lui offrir les seules consolations qu’elle pût trouver dans son cœur ; et son silence était tel, que la pâle clarté tombant sur ces deux femmes jeunes et belles semblait plutôt éclairer un groupe, ouvrage d’un sculpteur de génie, que des êtres doués d’existence, dont les yeux répandaient des larmes et dont le cœur palpitait encore. À une distance peu éloignée, l’armure éclatante du Flamand et le vêtement obscur du père Aldrovand, tous deux couchés sur un banc de pierre, auraient pu représenter les corps de ceux dont les figures principales déploraient la mort.

Cet accès de douleur ayant duré quelques instants, les chagrins d’Éveline semblèrent prendre un caractère plus paisible ; ses sanglots convulsifs se changèrent en soupirs sourds et profonds ; et ses larmes qui coulaient encore devinrent plus douces et moins violentes. Sa fidèle compagne, profitant de ces pacifiques symptômes, essaya doucement de lui ôter des mains la pique qu’elle avait saisie. « Que je sois sentinelle aussi pendant quelque temps, dit Rose ; ma chère maîtresse, je crierai au moins plus fort que vous en cas de danger. » Parlant ainsi, elle osa baiser une de ses joues et lui passer les bras autour du cou ; mais Éveline ne répondit que par de muettes caresses aux marques d’attachement que lui prodiguait sa fidèle compagne, et aux efforts qu’elle faisait pour favoriser son repos. Elles restèrent pendant quelques minutes silencieuses et dans la même posture, Éveline comme un frêle peuplier battu par l’aquilon, et Rose, qui la tenait enlacée dans ses bras, comme un chèvrefeuille qui s’attache au tronc son unique soutien.

Enfin Rose sentit sa jeune maîtresse frissonner au milieu des caresses qu’elle lui prodiguait ; et Éveline, en lui serrant le bras, lui dit : « Rose, n’entends-tu rien ?