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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/360

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pline, et qui voyaient l’une sans effet, l’autre sans utilité. Waverley, en promenant ses regards sur cette scène de fumée et de carnage, aperçut le colonel Gardiner, abandonné de ses soldats malgré tous ses efforts pour les rallier, lançant encore son cheval à travers la plaine pour prendre le commandement d’un petit corps d’infanterie qui, adossé contre le mur de son parc (car sa maison se trouvait près du champ de bataille, opposait encore une résistance désespérée mais inutile. Waverley remarqua qu’il avait déjà reçu plus d’une blessure, car ses habits et sa selle étaient tachés de sang. Sauver ce digne et brave officier devint aussitôt le but de ses plus ardents efforts, mais il ne put que le voir tomber ; car avant qu’Édouard se fût frayé un passage à travers les montagnards qui, furieux et avides de butin, se précipitaient les uns sur les autres, il vit son ancien colonel renversé de cheval par un coup de feu, et recevant même à terre plus de blessures qu’il n’en eût fallu pour lui arracher vingt fois la vie. Quand Waverley s’en approcha il n’était pourtant pas encore mort. Le guerrier expirant sembla reconnaître Édouard, car il fixa sur lui un regard de reproche, mêlé de tristesse, et il s’efforça d’ouvrir la bouche ; mais sentant que la mort n’était pas éloignée, et renonçant à parler, il joignit les mains comme pour prier, et abandonna son âme à son Créateur. Le regard qu’il lança à Waverley pendant son agonie ne fit pas autant d’impression sur lui, dans ce moment de trouble et de confusion, que lorsque qu’il se le rappela quelque temps après[1].

  1. La mort de ce brave militaire est ainsi racontée par son ami et son biographe, le docteur Doddridge, d’après des renseignements donnés par des témoins oculaires :
    « Il passa toute la nuit sous les armes, enveloppé dans son manteau et presque toujours abrité sous une meule d’orge qui se trouvait dans le champ. Sur les trois heures du matin, il appela ses domestiques : il y en avait quatre en ce moment auprès de lui ; il en congédia trois. Au premier rayon du crépuscule, l’armée fut éveillée par le bruit des rebelles qui s’approchaient. L’attaque commença avant le lever du soleil ; il ne faisait pas encore assez clair pour distinguer ce qui se passait sur le champ de bataille. Aussitôt que l’ennemi fut arrivé à la portée du mousquet, il fit une décharge furieuse, et l’on dit que les dragons qui formaient l’aile gauche prirent immédiatement la fuite. Le colonel, au commencement de l’attaque, qui en tout dura à peine quelques minutes, fut blessé par une balle au sein gauche, ce qui le fit brusquement sauter sur sa selle. Il reçut le moment d’après un coup de feu à la cuisse droite. On remarqua que plusieurs ennemis furent tués par lui, particulièrement un homme qui était venu le voir avec des intentions perfides quelques jours auparavant, et lui avait fait de grandes protestations de zèle pour le gouvernement. Après une fusillade faiblement nourrie, tout le régiment fut saisi d’une terreur panique, et, malgré les efforts du colonel et de plusieurs autres braves officiers pour le rallier, il se mit à la débandade. Quand le colonel Gardiner s’arrêta comme pour délibérer sur ce que le devoir lui ordonnait en pareille circonstance, tout son régiment l’ayant abandonné, il vit qu’un détachement de fantassins qui combattait brave-