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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/81

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exclu de leur société. Sir Éverard, à la mort de la reine Anne, avait cessé de siéger au parlement, et à mesure que ses années croissaient, et que ses contemporains diminuaient, il s’était insensiblement retiré de la société ; en sorte que lorsque par hasard Édouard rencontrait quelques jeunes gens de son rang, de ses espérances, et d’une brillante éducation, il sentait son infériorité, non faute de savoir, mais faute de mettre en relief celui qu’il avait acquis. Son dégoût du monde fut fortifié par une sensibilité profonde et croissante. L’idée juste ou fausse d’avoir commis le plus léger solécisme en politesse le jetait dans une angoisse horrible ; car peut-être un tort réel fait naître dans certains esprits un sentiment moins poignant de honte et de remords que celui qu’éprouve un jeune homme modeste, sensible et sans expérience, qui croit avoir manqué à l’étiquette ou s’être montré ridicule. Nous ne pouvons être heureux là où nous ne sommes pas à l’aise ; c’est pourquoi il n’était pas étonnant qu’Édouard Waverley pensât qu’il n’aimait pas la société, et qu’il n’était pas fait pour elle, tout simplement parce qu’il n’avait pas l’habitude d’y vivre à l’aise, d’y faire plaisir, et réciproquement d’y trouver du charme.

Les heures qu’il passait près de son oncle et de sa tante étaient remplies par les histoires mille fois répétées de la vieillesse conteuse. Toutefois alors, son imagination, cette faculté prédominante en lui, était fréquemment exaltée. La conversation de sir Éverard, dont les traditions de famille et l’histoire généalogique étaient le sujet le plus ordinaire, différait totalement de l’ambre, qui, substance précieuse en elle-même, renferme ordinairement des insectes, des pailles et autres choses insignifiantes ; tandis que ces connaissances, futiles et peu intéressantes en apparence, servent néanmoins à perpétuer le souvenir de ce que les anciennes mœurs ont de remarquable, et à rappeler beaucoup de faits curieux et minutieux qui, sans leur secours, ne seraient jamais parvenus jusqu’à nous. C’est pourquoi, si quelquefois Édouard Waverley bâillait en écoutant l’énumération aride de ses aïeux, les récits de leurs mariages, et déplorait en lui-même le soin impitoyable et minutieux avec lequel le digne sir Éverard rappelait les différents degrés de parenté qui existaient entre la maison de Waverley-Honour et maints barons, chevaliers ou écuyers ; et si quelquefois (malgré ce qu’il devait aux trois hermines) il maudissait en son cœur le jargon du blason, ses griffons,