Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/18

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der, ils tinrent conseil pour savoir s’ils devaient le prendre ou non ; mais l’exiguïté de la somme et les remontrances sévères de Jeanne les déterminèrent à le laisser : ils soupèrent, et allèrent prendre du repos. Aussitôt que le jour parut, Jeanne fit lever son hôte, lui amena son cheval, qu’elle avait équipé derrière le hallan[1], le guida pendant quelques milles, Jusqu’à ce qu’il fût sur la grande route de Lochside ; elle lui rendit alors tout son argent, et, malgré toutes ses instances, refusa d’accepter même une seule guinée.

« J’ai entendu dire à des vieillards de Jedburgh, que tous les fils de Jeanne avaient été condamnés à mort dans cette ville le même jour. On dit que les opinions du jury étaient également divisées, lorsqu’un ami de la justice qui avait dormi pendant tous les débats se réveilla en sursaut et détermina la condamnation par ces mots emphatiques : « Pendez-les tous. » L’unanimité n’est pas obligatoire dans un jury écossais ; aussi la sentence de mort fut-elle prononcée. Jeanne était présente ; elle se contenta de dire : — Que le Seigneur secoure l’innocent dans un pareil jour ! » Sa propre mort fut accompagnée de circonstances d’une brutalité révoltante, que la pauvre Jeanne ne méritait sous aucun rapport. Elle avait, entre autres défauts ou qualités (le lecteur prononcera), celui d’être une zélée jacobite. Se trouvant par hasard à Carlisle un jour de foire ou de marché, peu de temps après l’année 1746, elle donna cours à sa partialité politique, au grand scandale de la populace de cette ville. Aussi zélés royalistes lorsqu’il n’y avait aucun danger, qu’ils avaient été prompts à se soumettre aux Highlandais en 1745, les habitants infligèrent à la pauvre femme l’horrible châtiment de la plonger dans l’Éden jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Ce supplice fut long ; Jeanne, femme vigoureuse, luttait avec ses meurtriers, et mettait souvent la tête hors de l’eau ; tant qu’elle put parler, elle criait dans ces intervalles : « Charles pour toujours ! Oui, Charles pour toujours ! » Étant encore enfant, et habitant des lieux qu’elle avait fréquentés, j’ai souvent entendu raconter ces histoires, et versé des larmes de compassion sur la pauvre Jeanne Gordon.

« Avant de quitter les Égyptiens des frontières, je dois raconter que mon grand-père, traversant à cheval la bruyère de Charterhouse, alors d’une étendue très considérable, tomba tout-à-coup au milieu d’une bande de ces gens qui prenaient leur repas dans un ravin entouré de buissons. Ils saisirent aussitôt la bride de son

  1. Mur mitoyen dans une chaumière écossaise. a. m.