Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/291

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et je m’en ressentirais tout le reste de la session. — Eh bien donc, je me lèverai matin pour déjeuner avec vous. »

La compagnie se sépara pour ce soir-là.

Le lendemain matin le colonel arriva à huit heures chez l’avocat, tout en maudissant l’air frais d’une matinée de décembre en Écosse. Il trouva mistress Rébecca que M. Pleydell avait fait asseoir au coin du feu, une tasse de chocolat près d’elle ; tous deux étaient déjà dans une conversation très suivie.

« Ah ! je vous assure, mistress Rébecca, que je n’ai pas l’intention d’attaquer le testament ; je vous donne ma parole d’honneur que vous n’avez rien, absolument rien à craindre pour votre legs. Vous l’avez mérité par votre conduite avec votre maîtresse, et je souhaiterais qu’il fût du double. — Mais, monsieur, ce n’est pas bien, à coup sûr, de rapporter ce qu’on a entendu… Vous avez vu comme ce malhonnête M. Quid m’a reproché quelques petits cadeaux, et a répété quelques propos en l’air qui devaient rester entre lui et moi. Si je parlais librement à Votre Honneur, je ne sais ce qui pourrait en résulter. — Rassurez-vous, ma chère Rébecca ; ma profession, votre âge, votre figure, tout vous donne le droit de parler aussi librement qu’un poète érotique. — Eh bien ! si Votre Honneur pense que je puis parler librement… voici la chose : Vous savez qu’il y a un an, un peu moins peut-être, on conseilla à ma maîtresse d’aller passer quelque temps à Gilsland, afin de se dissiper d’une grande mélancolie. Les malheurs d’Ellangowan commençaient à devenir publics, et elle en était extrêmement affligée car elle tenait de près à cette famille. Ellangowan et elle avaient été ensemble tantôt bien, tantôt mal… mais depuis deux ou trois ans surtout ils étaient fort mal ; car il lui demandait toujours à emprunter de l’argent, et elle n’en voulait pas prêter, sachant bien que le laird ne pourrait pas le lui rendre. Si bien qu’ils s’étaient tout-à-fait brouillés. Quelqu’un donc de la compagnie qui était à Gilsland lui dit que le domaine d’Ellangowan allait être vendu, et vous ne sauriez croire comme, à partir de ce moment, elle prit Lucy en grippe : vingt fois elle m’a dit : « Becky, ô Becky ! si cette inutile petite fille d’Ellangowan, qui ne peut conduire son père et l’empêcher de faire des sottises, était seulement un garçon, ils ne pourraient pas vendre le vieux château pour payer les dettes de ce maître fou. » C’était toujours le même refrain, si bien que j’étais lasse, malade même, de l’entendre toujours maudire la pauvre demoiselle, comme s’il eût dépendu d’elle de changer son