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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/355

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quille, cultiver sans crainte et sans inquiétude ces arts auxquels l’agitation continuelle de ma vie m’a impérieusement arraché ? L’imagination peut, dit-on, prêter la voix des tritons et des nymphes aux murmures confus des flots de l’Océan ; pourquoi une sirène ou un Protée, sortant de ces abîmes, ne vient-il pas déchirer à mes yeux le voile épais et mystérieux qui couvre ma destinée !… Heureux ami ! dit-il en regardant le lit sur lequel était couché le robuste Dinmont, tes soucis sont renfermés dans le cercle étroit des occupations qui te donnent et la fortune et la santé ! tu peux t’en débarrasser à volonté pour goûter le repos profond de corps et d’esprit que le travail du jour t’a préparé ! »

Ses réflexions furent interrompues par Wasp qui, s’efforçant de grimper à la croisée, se mit tout-à-coup à hurler et à glapir avec une sorte de fureur. Ce bruit parvint aux oreilles de Dinmont, mais sans dissiper l’illusion qui l’avait transporté, loin de ce misérable appartement, au milieu de l’air pur de ses vertes campagnes. « En avant ! Yarrow, mon compère… plus loin… plus loin… » murmurait-il entre ses dents, s’imaginant sans doute parler au chien de son troupeau pour l’exciter à ramener un mouton qui envahissait un pâturage défendu. Cependant Wasp ne cessait de japer, et bientôt on entendit les aboiements répétés du mâtin lâché dans la cour. Jusqu’alors celui-ci avait gardé le silence, sauf un hurlement court et perçant qu’il poussait de temps à autre quand la lune sortait tout-à-coup de derrière un nuage. Mais en ce moment il faisait un tapage d’enragé et semblait excité par toute autre chose que les glapissements de Wasp, qui le premier avait donné l’alarme, et que son maître avait enfin réduit, à grand’peine, à un sourd grognement.

Enfin Bertram, qui redoublait d’attention, crut apercevoir une barque sur la mer, et distingua assez clairement un bruit de rames et de voix humaines qui se mêlait au mugissement des flots. « Ce sont, pensa-t-il, quelques pêcheurs égarés ou peut-être quelques contrebandiers de l’île de Man ; mais ils sont bien hardis de passer si près de la douane, où il y a sans doute des sentinelles. C’est une grande barque, une chaloupe même pleine de monde ; peut-être appartient-elle au service de la douane. » Il fut confirmé dans cette dernière opinion, en voyant la barque s’arrêter auprès d’une petite jetée qui s’avançait dans la mer le long des magasins de la douane, et tous les gens de l’équipage, qui étaient une trentaine environ, sauter à terre les uns après les autres, puis entrer sans bruit dans