Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/65

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regardés comme propriétaires des misérables cabanes qu’ils habitaient. On disait qu’ils avaient anciennement acheté cette protection du laird d’Ellangowan pour les services qu’ils lui avaient rendus dans la guerre, ou plus fréquemment en ravageant et en pillant les terres des barons voisins avec lesquels il était en querelle. Plus tard leurs services étaient devenus d’une nature plus pacifique : les femmes filaient des mitaines pour milady, tricotaient des chaussettes pour le laird ; et on les leur présentait tous les ans, le jour de Noël, en grande cérémonie ; les vieilles sibylles bénissaient le lit nuptial du laird lorsqu’il se mariait, et le berceau de son héritier naissant ; les hommes raccommodaient la porcelaine cassée de milady, servaient le laird dans ses parties de chasse, élevaient ses chiens et coupaient les oreilles de ses petits bassets ; les enfants cueillaient des noisettes dans les bois, des baies sur la mousse, pour porter leur tribut au château : on récompensait ces actes volontaires de service et de dépendance en les protégeant dans quelques occasions, en les tolérant dans d’autres, et en leur distribuant les restes de la table, même de la bière et de l’eau-de-vie, lorsque les circonstances commandaient au laird de se montrer généreux. Cet échange mutuel de bons offices, qui était continué depuis au moins deux siècles, rendait les tenanciers de Derncleugh comme des habitants privilégiés sur le domaine d’Ellangowan. Les coquins étaient tout-à-fait bons amis avec le laird, qui se serait regardé comme maltraité lui-même si son crédit n’eût pu les protéger contre les lois et les magistrats du comté. Mais cette union amicale allait bientôt être rompue.

La communauté de Derncleugh, qui n’avait de protection que pour ses propres fripons, ne s’alarmait nullement de la sévérité que le juge de paix déployait contre les autres vagabonds. Ils ne doutaient pas qu’il n’eût résolu de ne souffrir d’autres mendiants ou vagabonds dans le pays que ceux qui habitaient sur ses terres, et qui exerçaient leur commerce avec sa permission formelle, soit expresse, soit tacite. M. Bertram, de son côté, ne se hâtait pas d’exercer sa nouvelle autorité aux dépens des anciens colons de Derncleugh ; mais il y fut contraint par les circonstances.

À l’une des sessions de trimestre, notre nouveau juge se vit publiquement reprocher par un gentilhomme du parti politique opposé, que tandis qu’il affectait un grand zèle pour la police publique et semblait ambitionner la réputation de magistrat actif, il nourrissait une tribu des plus grands coquins du pays, et souffrait qu’ils habi-