Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/84

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les soupçons. Le visage était très noir, les yeux sortaient de la tête, et les veines du cou étaient enflées. Une cravate de couleur que portait le malheureux Kennedy ne paraissait point mise comme à l’ordinaire. Elle avait été détachée, et le nœud déplacé avait été très fortement serré. Les plis étaient froissés comme si on s’en était servi pour tirer le cadavre et peut-être le traîner vers le précipice.

D’un autre côté, la bourse du pauvre Kennedy fut trouvée intacte ; et ce qui sembla encore plus extraordinaire, les pistolets qu’il portait habituellement lorsqu’il partait pour quelque expédition dangereuse, étaient encore chargés. Cette circonstance surtout parut très étrange, car il était connu et redouté par les contrebandiers comme un homme également intrépide et habile dans le maniement des armes, et il en avait donné souvent des preuves. Le shérif s’informa si Kennedy n’était pas dans l’habitude de porter d’autres armes.

Plusieurs domestiques de M. Bertram se rappelèrent qu’il avait ordinairement un couteau de chasse, ou un petit coutelas, mais on n’en trouva point sur le cadavre ; aucun de ceux qui l’avaient vu dans la matinée de ce jour fatal ne put assurer s’il portait ou ne portait pas cette arme.

Le corps ne présentait point d’autres indices qui pussent apprendre quelle avait été la mort de Kennedy ; car, quoique ses habits fussent bien en désordre, et ses membres fracturés d’une manière horrible, ces deux circonstances paraissaient les conséquences, l’une probable, l’autre certaine, de sa chute. Les mains du cadavre étaient fortement contractées et pleines de gazon et de terre, mais tout cela paraissait également équivoque.

Le magistrat alors se rendit à l’endroit où le corps avait été d’abord découvert, et se fit donner sur les lieux, par ceux qui l’avaient trouvé, un rapport circonstancié sur l’état dans lequel il était. Un énorme fragment de roc paraissait avoir accompagné ou suivi la victime dans sa chute. Il était d’une substance si solide et si compacte, qu’en tombant il s’en était à peine détaché quelques éclats, en sorte que le shérif put d’abord examiner le poids du fragment en le mesurant, et ensuite calculer d’après sa forme par quel côté il tenait au rocher dont il était tombé. Il le découvrit facilement par la couleur grisâtre qu’avait la pierre dans l’endroit où elle n’avait pas été exposée à l’action de l’atmosphère. On gravit ensuite le rocher, et on examina la place d’où le fragment s’était détaché. D’après l’inspection des lieux il semblait clair qu’un seul