Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/96

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verres d’eau-de-vie. — Paix donc, bonne femme ! que j’achève. Enfin milady devint enceinte, et la nuit où elle devait accoucher, on vit arriver à la porte du château de la Place d’Ellangovvan, comme on l’appelle, un vieillard étrangement habillé, et qui demandait un asile. Sa tête, ses jambes et ses bras étaient nus, quoique l’on fût en hiver, et il avait une barbe grise longue de trois quarts d’aune. C’est bien : il fut admis, et lorsque milady fut accouchée, il demanda à connaître le moment précis de l’heure de la naissance de l’enfant, puis il sortit, et consulta les astres et lorsqu’il revint, il dit au laird que l’esprit malin aurait seul du pouvoir sur l’enfant qui venait de naître, et il lui conseilla de l’élever dans la voie de la piété, et lui dit qu’il devait toujours avoir un bon ministre à son côté pour prier avec l’enfant et pour lui. Ensuite le vieillard disparut tout-à-coup, et personne dans le pays n’en entendit plus parler. — Oh ! cela ne passera pas, dit le postillon, qui, placé à une distance respectueuse, avait écouté la conversation ; je demande pardon à monsieur Skreigh et à toute la compagnie ; le sorcier n’avait pas moins de cheveux sur la tête que n’en a en ce moment le Letter-Gae[1], et il avait une paire de bottes aussi bonne qu’un homme en ait jamais eu à ses jambes, et il avait des gants aussi, et je sais bien ce que c’est que des bottes par ce temps, je pense. — Silence, Jack ! dit l’hôtesse. — Ah ! que connaissez-vous donc de l’histoire, l’ami Jack ? dit le maître-chantre d’un air de mépris. — Pas grand’chose, monsieur Skreigh, assurément ; je sais seulement que j’habitais à un jet de pierre de l’entrée de l’avenue d’Ellangowan, lorsqu’un homme vint frapper à notre porte, l’année où naquit le jeune laird, et ma mère m’envoya, encore à moitié endormi, montrer la porte de la Place à l’étranger, qui certainement, s’il eût été un aussi grand sorcier, l’aurait bien trouvée lui-même, pensera-t-on. C’était un jeune homme d’un bel extérieur, et bien habillé, comme un Anglais… Et je vous dis qu’il avait un chapeau, des bottes et des gants tels qu’un gentilhomme doit en avoir. Il est vrai qu’il jeta un regard sinistre sur le vieux château ; et il s’y passait des choses bien étranges, je l’ai entendu dire. Mais quant à sa disparition, c’est un conte, car je lui ai tenu l’étrier moi-même, lorsqu’il partit, et il me donna une demi-couronne. Il montait un cheval qu’on nommait Souple-Sam, et qui appartenait à George de Dumfries : c’était un cheval bai et malade de l’éparvin ; je l’avais vu avant cela, et je l’ai vu depuis encore. — Bien, bien,

  1. Allan Ramsay appelle le chantre le Letter-Gae de la sainte poésie. a. m.