Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

timent de tristesse, non pas assurément à cause des contes d’enfans que Grizzel vous a rapportés, mais par le souvenir de circonstances liées à un attachement de jeunesse qui ne fut point heureux. C’est dans de semblables momens, monsieur Lovel, que nous nous apercevons des effets du temps. Les mêmes objets sont devant nous ; ces objets inanimés, nous les avons contemplés aux jours de l’enfance capricieuse, de la fougueuse jeunesse, de la soucieuse et entreprenante maturité ; ils sont demeurés les mêmes : mais si nous les regardons de nouveau quand est venue la froide et insensible vieillesse, pouvons-nous nous dire les mêmes, changés comme nous le sommes de caractères, de goûts, de sentimens ; changés du côté des traits, de la taille et des forces ? ou plutôt ne devons-nous pas nous rappeler avec étonnement que nous fûmes autrefois des êtres si différens, si distincts de ce que nous sommes maintenant ? Le philosophe qui en appelait de Philippe enflammé par le vin à Philippe dans ses heures de sobriété, ne choisissait pas un juge aussi différent que s’il en eût appelé de Philippe jeune homme à Philippe dans sa vieillesse. Je ne puis m’empêcher de me trouver ému par ces sentimens si bien exprimés dans un petit poème que j’ai entendu répéter :

« Je sens mes yeux remplis de larmes enfantines ;
Je sens aussi mon cœur follement agité :

Le même son qu’autrefois j’écoutai

Vient frapper mon oreille au milieu des collines.


Cette flatteuse illusion
Est donc encor pour la vieillesse ;
Et pourtant la froide raison
Regrette moins, dans sa sagesse,

Ce que le temps dérobe en sa moisson

Que tout ce qu’après elle en passant elle laisse. »

« Eh bien ! le temps, dit-on, guérit toutes les blessures, et quoique la cicatrice en reste et puisse encore quelquefois être douloureuse, il y a loin de cela à la première angoisse qu’elles ont causée. » Parlant ainsi, il serra cordialement la main à Lovel, lui souhaita une bonne nuit, et le laissa.

Lovel put compter chaque pas de son hôte, tandis que celui-ci se retirait le long des divers passages qu’ils avaient traversés ensemble, et il entendit chaque porte retomber derrière lui avec un bruit plus éloigné et plus sourd. Lorsque tout bruit eut cessé et qu’il se trouva pour ainsi dire séparé eu quelque sorte des vivans,