Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notes historiques et critiques à la suite de chaque chant, et de vous tracer moi-même votre plan tout entier. J’ai aussi quelque prétention au génie poétique, monsieur Lovel ; seulement je n’ai jamais pu faire de vers.

— Il est bien dommage, monsieur, que vous manquiez d’une faculté qui est assez essentielle à cet art !

— Essentielle ! pas du tout : c’est la partie purement mécanique. Un homme peut être poète sans connaître, comme les anciens, la mesure des spondées et des dactyles, ou faire rimer la fin des lignes comme les modernes ; de même qu’on peut être architecte, quoique incapable de travailler comme un maçon. Pensez-vous que Vitruve et Palladio aient jamais porté la hotte ?

— En ce cas, il faudrait donc qu’il y eût deux auteurs pour faire un poème : l’un pour l’invention et le plan, l’autre pour l’exécuter.

— Cela n’irait pas mal ; dans tous les cas, nous en ferons l’épreuve. Ce n’est pas que je me soucie de livrer mon nom au public ; mais dans une préface, après toutes les belles choses que vous jugerez à propos d’y faire entrer, vous pourriez reconnaître qu’un savant ami vous a aidé dans vos travaux ; toutefois, je vous le répète, je suis entièrement étranger à la vanité d’auteur. »

Lovel s’amusa beaucoup intérieurement de cette profession de foi, qui s’accordait mal avec l’empressement que son vieil ami mettait à saisir toutes les occasions de se présenter au public, quoique de manière à ressembler plutôt à celui qui monte derrière un carrosse qu’à celui qui est dedans. L’Antiquaire était en ce moment au comble de la joie ; car, semblable à d’autres individus qui passent leur vie dans des occupations littéraires obscures et ignorées ; il éprouvait l’ambition secrète de se faire imprimer ; ambition que réprimaient de temps en temps des accès de méfiance, la crainte de la critique, et de vieilles habitudes d’indolence qui le faisaient toujours tout remettre au lendemain. « Mais, pensait-il alors, je puis, comme un second Teucer, lancer mes traits à l’ombre du bouclier de mon allié ; et, en supposant qu’il ne soit pas un poète de la première force, je ne suis en aucune façon responsable de la faiblesse de ses vers ; et de bonnes notes peuvent venir à l’appui d’un texte assez médiocre. Néanmoins, ce garçon-là doit faire un bon poète ; on trouve en lui toute la distraction commune aux enfans du Parnasse ; il répond rarement à une question, que vous ne la lui ayez répétée deux fois, avale son thé brûlant, et mange sans savoir ce qu’il a dans la bouche. C’est bien là le véritable œstus,