Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/341

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qui couvrait mes yeux vient de se déchirer. Oui, j’entends maintenant ces consolations obscures jetées en avant par ma malheureuse mère, et qui tendaient à contredire l’évidence ces horreurs dont par ses artifices elle avait réussi à me persuader que j’étais coupable.

— Elle ne pouvait parler plus clairement, répondit Elspeth, sans avouer sa propre faute, et elle aurait mieux aimé se laisser déchirer par des chevaux furieux que de révéler ce qu’elle avait fait ; et si elle vivait, j’en ferais autant pour l’amour d’elle. C’étaient des cœurs intrépides que ceux de la race de Glenallan, hommes et femmes ; et tels étaient tous ceux qui, au temps jadis, répétaient leur cri de ralliement de Clochnaben[1]. Ils étaient inébranlables ; nul homme n’aurait abandonné son chef, à tort ou à raison, pour l’amour de l’or ou pour un appât quelconque : les temps sont bien changés, à ce que j’entends dire aujourd’hui. »

Le malheureux comte était trop absorbé dans des réflexions capables de troubler sa raison, pour remarquer les expressions de cette fidélité farouche où, même au dernier période de sa vie, l’auteur infortuné de sa propre misère semblait constamment trouver une source de sombres consolations.

« Dieu puissant ! s’écria-t-il, je suis donc exempt du crime le plus horrible qui puisse souiller un homme, et dont le sentiment, tout involontaire que ce crime avait été, a détruit mon repos, ruiné ma santé, et m’a courbé vers la tombe avant le temps ! Grand Dieu ! ajouta-t-il avec ferveur en levant ses yeux vers le ciel, accepte mes humbles actions de grâces. Si j’ai vécu malheureux, du moins n’ai-je point été entaché de cet outrage contre la nature. Et toi, continue, si tu as encore quelque chose à dire ; continue, tandis qu’il te reste la force de parler, et à moi celle de t’entendre.

— Oui, répliqua la vieille, le temps qui nous reste, à vous pour entendre et à moi pour parler, s’écoule en effet rapidement : la mort a marqué votre front de son sceau, et je m’aperçois de jour en jour que son souffle glace de plus en plus mon cœur. Ne m’interrompez donc plus par des gémissemens et des exclamations, mais écoutez mon récit jusqu’au bout : puis, si vous êtes un vrai lord de Glenallan, et semblable à ceux dont on parlait de mon temps, ordonnez à vos gens de rassembler l’épine, la bruyère et le houx, d’en élever des monceaux aussi hauts que le toit de la maison, et brûlez, brûlez la vieille sorcière Elspeth, et tout ce qui

  1. Ce mot de ralliement de la tribu de Glenallan est cité plusieurs fois dans cet ouvrage. a. m.