Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/40

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plaire mutilé de la Complainte d’Écosse, j’ai aidé à boire dans une séance deux douzaines de bouteilles d’ale forte[1] avec son dernier et savant possesseur, qui, par reconnaissance, me le légua dans son testament. Ces petits Elzévirs sont des témoignages et des trophées de plus d’une promenade nocturne et matinale à travers la Cowgate, la Canongate, le Bow et l’allée de Sainte-Marie[2], dans tous les lieux enfin où il se trouve des bouquinistes, des fripiers et des brocanteurs, ces marchands d’objets divers rares et curieux. Combien de fois me suis-je arrêté à me débattre sur un sou, de crainte que par un acquiescement trop soudain au prix demandé par le vendeur, il ne vint à soupçonner l’importance que j’attachais moi-même à cet article ! Combien je tremblais qu’il n’arrivât quelque passant pour me disputer l’objet auquel j’aspirais ; regardant chaque pauvre écolier en théologie qui s’arrêtait pour retourner les feuillets des livres étalés, comme un amateur rival ou comme un avide libraire déguisé ! Et puis, M. Lovel, la satisfaction secrète avec laquelle on paie l’article acheté et on le met dans sa poche, affectant un air froid et indifférent, tandis que la main est tremblante de plaisir ! Puis éblouir les yeux de ces curieux rivaux plus opulens, en leur montrant un trésor comme celui-ci, ajouta-t-il en désignant un petit volume noirci par la fumée et environ de la grandeur d’un alphabet ; jouir de leur surprise et de leur envie en déguisant la supériorité de ses connaissances et de son adresse sous le voile d’une mystérieuse réserve ! Voilà, mon jeune ami, voilà les momens brillans de la vie, ceux qui nous dédommagent des peines, des travaux et de l’attention assidue que notre profession exige si particulièrement par dessus toutes les autres ! »

Lovel ne s’amusa pas médiocrement en écoutant le vieillard discourir ainsi, et quoique incapable de comprendre tout le mérite de ce qu’il voyait, il admira pourtant les divers trésors qu’Oldbuck lui étala autant qu’on pouvait s’y attendre. Ici, c’étaient des éditions fort estimées parce qu’elles étaient les plus anciennes ; là, d’autres qui ne l’étaient guère moins, comme étant les dernières et les meilleures ; ici un livre précieux parce qu’il avait les corrections finales de l’auteur ; là, chose assez bizarre ! un autre qu’on recherchait parce qu’on ne les y trouvait pas ; l’un était précieux parce que c’é-

  1. Espèce de bière. a. m.
  2. La Cowgate (rue aux Vaches), la Canongate (la rue ou porte du Canon), le Bow (la rue de l’Arc), et St-Mary’s wing (l’allée ou rue étroite et tortueuse de Sainte-Marie), sont autant de rues d’Édimbourg. a. m.