Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/108

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titre, et qui néanmoins n’étaient ni sages, ni vertueux, ni loyaux. Pourtant, gentilhomme était un titre considéré dans la vieille Angleterre, quand on voulait bien se rappeler le sens propre de ce mot. — Vous dites vrai, monsieur, » répliqua Wildrake, supprimant, non sans peine, quelques unes de ces expressions qu’il employait ordinairement pour donner plus de force à ses discours. « Anciennement on trouvait les gentilshommes là où les gentilshommes devaient se trouver ; mais aujourd’hui le monde est si changé qu’on voit le ceinturon brodé à la place du tablier de cuir. — Est-ce à moi que tu parles ainsi ? demanda le général. Je te trouve bien hardi de le faire en termes si inconvenants… tu sonnes un peu trop fort pour être de bon métal, ce me semble. Mais encore une fois, quelle nouvelle apportes-tu ? — Cette lettre, dit Wildrake, vous est adressée par le colonel Markham Éverard. — Ah ! je me suis mépris sur ton compte, » reprit Cromwell, qui s’adoucit au seul nom d’un homme qu’il désirait vivement attirer dans son parti ; « excuse-moi, mon bon ami, car tu l’es, nous n’en doutons pas. Assieds-toi, et réfléchis, si tu peux, pendant que nous allons examiner le contenu de ce message. Qu’on ait soin de lui, et qu’il ne manque de rien. » À ces mots, le général sortit du corps-de-garde, où Wildrake prit place dans un coin et attendit patiemment le résultat de sa mission.

Les soldats se croyant obligés alors à le traiter avec quelque considération, lui offrirent une pipe de tabac de la Trinité et une grande cruche noire de bière d’octobre. Mais l’air soupçonneux de Cromwell, et la situation périlleuse où le mettait le moindre risque d’être découvert, décidèrent Wildrake à refuser ces offres hospitalières ; et s’appuyant sur le dos de sa chaise, il feignit de dormir, et évita de cette manière de se faire reconnaître et de causer, jusqu’à ce qu’une espèce d’aide-de-camp ou officier d’ordonnance de Cromwell vînt le chercher pour le conduire en présence du Protecteur.

Son guide, le faisant passer par une poterne, l’introduisit dans l’enceinte du château même, et à travers bien des galeries secrètes, bien des escaliers dérobés, ils arrivèrent dans un petit cabinet ou salon richement décoré ; on avait laissé subsister le chiffre royal sur quelques meubles, mais tout n’était que désordre et confusion, et même plusieurs tableaux à cadre massif étaient tournés vers la muraille du côté de la peinture, comme si on eût eu l’intention de les emporter.