Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/120

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que laissait apercevoir Cromwell, malgré le calme habituel de son caractère. En considérant sa physionomie sombre et audacieuse, agitée par des sentiments intérieurs impossibles à décrire, le Cavalier sentit sa violence s’évanouir et se changer en crainte, en étonnement : tant il est vrai que de même qu’une plus grande lumière engloutit et fait disparaître l’éclat de celle qui est moins vive, de même les hommes d’un esprit large, vaste et plein d’ascendant, dissipent et subjuguent, dans la fureur de leurs passions, les volontés et les passions plus faibles des autres ; de même quand un ruisseau se jette dans un fleuve, le fleuve orgueilleux repousse l’humble filet d’eau.

Wildrake resta spectateur silencieux, immobile et presque épouvanté, pendant que Cromwell, rendant à ses yeux et à ses manières leur calme habituel en homme qui se fait violence à lui-même pour considérer un objet qu’un sentiment intérieur et puissant lui rend pénible et désagréable, continuait à parler par phrases courtes et interrompues, mais d’une voix ferme, faisant un commentaire sur le portrait du feu roi. Ses paroles semblaient moins s’adresser à Wildrake que décharger spontanément son cœur qui était gonflé par le souvenir du passé et l’anticipation de l’avenir.

« Ce peintre flamand, dit-il… cet Antoine Van Dyck ! quelle puissance il a ! L’acier peut mutiler, les guerriers peuvent dévaster et détruire… et cependant ce portrait du roi a résisté aux injures du temps ; et nos petits-fils, lorsqu’ils liront son histoire, pourront interroger ce portrait, et comparer ses traits mélancoliques avec sa triste histoire… Ce fut une cruelle nécessité… ce fut un acte terrible ! L’orgueil calme de cet œil aurait pu gouverner des mondes entiers de Français rampants, de souples Italiens, ou de fiers Espagnols ; mais ses regards n’ont fait qu’enflammer le courage naturel du fier Anglais… Ne rejetez pas sur un pauvre pécheur le blâme de sa chute, quand le ciel ne lui a pas donné assez de force de caractère pour résister. Le cavalier faible est renversé par son cheval fougueux qui l’écrase… L’homme vigoureux, le bon cavalier s’élance sur la selle vide, et fait jouer le mors et l’éperon jusqu’à ce que le fier coursier le reconnaisse pour son maître. Pourquoi reprocher à celui qui, au sommet des grandeurs, s’avance en triomphe au milieu du peuple, pourquoi lui reprocher ses succès, quand l’homme faible et malheureux a succombé et péri ? Véritablement il a sa récompense. Alors quelle importance dois-je attacher plus que d’autres à ce morceau de toile peinte ? Non, qu’il