Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/215

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me sens encore un malaise physique, quoique, grâce au ciel, je sois non moins résolu, non moins calme d’esprit qu’un simple mortel peut l’être après une pareille vision… On prétend, digne colonel, que de telles choses sont les précurseurs d’une mort prochaine… Je ne sais si c’est vrai, mais s’il en est ainsi, je partirai comme une sentinelle fatiguée qu’on relève de faction, et je serai content de ne plus voir et de ne plus entendre ces Antimoniens, ces Pélagiens, ces Sociniens, ces Arminiens, ces Ariens et ces Nullifidiens, qui ont envahi notre Angleterre, comme ces hideux reptiles qui envahirent la maison de Pharaon. »

À ce moment un des domestiques qui avait été averti entra avec un verre d’eau, et fixant aussitôt ses stupides yeux gris sur la figure du ministre, comme s’il eût cherché à lire quelle tragique histoire était écrite sur son front, il sortit de la chambre en remuant la tête, comme un homme fier d’avoir découvert que tout n’allait pas bien, quoiqu’il n’eût pu deviner en définitive ce qui était mal.

Le colonel Éverard invita le digne ecclésiastique à prendre quelque rafraîchissement plus confortable que de l’eau pure, mais il refusa. « Je suis en quelque sorte un champion, dit-il, et quoique vaincu dans ma dernière rencontre avec l’ennemi, j’ai encore ma trompette pour sonner l’alarme, et mon glaive tranchant pour frapper : ainsi, comme le vieux Nazaréen, je ne boirai ni vin ni liqueur forte avant que mes jours de combat soient passés. »

Le colonel pressa une seconde fois maître Holdenough, d’un ton amical et respectueux, de lui apprendre ce qui lui était arrivé la dernière nuit ; et le bon ministre lui conta ce qu’on va lire, avec cette petite teinte caractéristique de vanité dans son récit, qui provenait naturellement du rôle qu’il avait joué dans le monde, et de l’influence qu’il avait exercée sur les esprits des autres.

« J’étais jeune encore à l’université de Cambridge, dit-il, et j’étais particulièrement lié d’amitié avec un de mes camarades, peut-être parce que nous passions… ce qu’il est inutile de vous dire… pour les deux clercs du collège qui promettaient le plus, et nous avancions d’un pas si égal, qu’il eût été difficile peut-être de dire lequel faisait plus de progrès dans ses études ; seulement notre professeur, maître Purefroy, avait coutume de dire que si mon camarade avait sur moi l’avantage de l’esprit, je l’emportais sur lui par la grâce ; car tandis qu’il s’attachait à l’étude profane des auteurs classiques, étude qui n’est jamais profitable, puisque le plus souvent elle ne donne que des leçons d’impiété et de corruption, moi