Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Viens, nous allons partir : je mettrais dix contre un
Que je ne verrai plus Woodstock et ses tourelles.
Faisons donc une orgie et buvons en commun
Tant que le verre en main assoupit nos querelles.

On chanta, mais sans âme : c’était une joie forcée qui, au lieu de montrer la moindre étincelle de gaîté, n’en indique que plus clairement l’absence. Charles s’arrêta, et fit des reproches à ses choristes.

« Vous chantez, ma chère miss Alice, comme si vous psalmodiiez les sept psaumes de la Pénitence ; et vous, bon docteur, comme si vous récitiez le service des morts. »

Le docteur se leva précipitamment de table, et se mit à la fenêtre, car les derniers mots du roi convenaient singulièrement à ce qu’il avait à faire ce soir-là. Charles le regarda avec quelque surprise, car les périls au milieu desquels il se trouvait depuis si longtemps l’avaient habitué à épier les moindres mouvements autour de lui. Puis, se tournant vers sir Henri, il dit : « Mon honorable hôte, pourriez-vous nous expliquer le motif de cet accès de tristesse qui nous a tous si étrangement gagnés ? — Ma foi, non, mon cher Louis ; ma science ne s’étend pas aussi loin en philosophie ; autant vaudrait que je cherchasse à vous expliquer pourquoi Bévis tourne trois fois avant de se coucher. Je puis seulement dire que si la vieillesse, le chagrin et l’inquiétude sont capables de briser un joyeux esprit, ou du moins de l’abattre de temps à autre, j’ai ma part de tous ces maux ; ce que je résumerai en disant que si je suis triste, c’est que je ne suis pas gai. J’ai trop de motifs de tristesse. Je voudrais voir mon fils, ne fût-ce que pour une minute. »

La fortune sembla cette fois disposée à satisfaire le vieillard, car Albert Lee entra au même instant. Il était en habit de cheval, et paraissait avoir long-temps galopé. Il promena un instant ses yeux autour de l’appartement, les fixa sur ceux du prince déguisé, et, satisfait du regard qu’il reçut en retour du sien, il se hâta, d’après l’antique usage, de s’agenouiller devant son père et de lui demander sa bénédiction.

« Je te la donne, mon enfant, » dit le vieillard ; et une larme brilla dans son œil, pendant qu’il passait la main dans les longues boucles de cheveux qui distinguaient le rang et les principes du jeune Cavalier, et qui, ordinairement, peignées et frisées avec quelque soin, tombaient alors en désordre sur ses épaules. Ils restèrent un moment dans cette attitude, mais le vieillard la quitta