Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/62

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Phœbé, il y a ici des gens qui ont plus de droit et de pouvoir qu’aucun de nous, et ils ne feront pas grande cérémonie pour venir quand ils le voudront, et s’y arrêter tant qu’il leur plaira. » Il lança un autre regard à Tomkins qui semblait plus attentif que jamais à sa lecture, puis s’approcha de la jeune fille étonnée qui n’avait pas cessé de regarder alternativement le garde et l’étranger, comme si elle n’eût pu comprendre les paroles du premier, ni s’expliquer la présence du second en ces lieux.

« Courez, » lui dit alors Joliffe en approchant la bouche si près de ses joues, que son haleine agitait les boucles de ses cheveux ; « courez, ma chère Phœbé ; courez à ma chaumière aussi vite qu’un faon… J’y serai bientôt moi-même, et… — Votre chaumière ! ah, bien oui ! Vous êtes bien hardi pour un pauvre chasseur qui n’a jamais fait peur qu’au cerf timide… Votre chaumière, ah, oui !… En effet, je vais y aller. — Chut ! chut ! Phœbé… ce n’est pas le moment de plaisanter. Courez, vous dis-je, à ma hutte, comme un daim ; car le chevalier et mistress Alice y sont tous deux, et je crains qu’ils ne remettent jamais le pied ici… Tout est perdu, fille… et nos mauvais jours sont venus avec la vengeance céleste… Nous sommes mis aux abois et chassés. — Est-il possible, Jocelin ? » dit la pauvre fille en lançant au garde un regard où se peignait la frayeur qu’elle avait jusqu’alors cachée par coquetterie villageoise.

« Aussi sûr, ma chère Phœbé, que… »

Le reste de la réponse se perdit dans l’oreille de Phœbé, tant les lèvres du garde en étaient près ; et si elles s’approchèrent au point de lui toucher la joue, le chagrin a ses privilèges comme l’impatience, et la pauvre Phœbé avait bien des motifs d’alarme assez sérieux pour ne pas se fâcher d’une pareille bagatelle.

Mais l’indépendant ne prit pas ainsi le contact des lèvres de Jocelin sur les jolies joues de Phœbé, quoique brûlées par le soleil ; deux minutes auparavant il était l’objet de la surveillance de Jocelin ; et à son tour il surveillait tous les mouvements du garde, depuis que son entretien avec la jeune fille était devenu intéressant. Lorsqu’il remarqua combien l’argument de Jocelin était pressant, il éleva la voix avec aigreur, ce qui fit reculer aussitôt Jocelin et Phœbé à six pieds l’un de l’autre, tous deux en sens contraire, et qui aurait indubitablement fait sauter Cupidon par la fenêtre, s’il eût été de la partie, comme un canard sauvage fuyant une couleuvrine. Aussitôt prenant l’attitude d’un prédicateur prêt à lancer