Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/137

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un seul instant, mais prenez le galop, avant qu’on exécute la prise de corps.

— Je pars à l’instant, mais c’est pour me rendre à la maison de ce juge Inglewood. Où demeure-t-il ?

— À cinq milles d’ici environ, dans la plaine, derrière ces plantations… vous voyez d’ici la tourelle du château.

— J’y serai dans cinq minutes, » lui dis-je en faisant avancer mon cheval.

« Et je vais vous montrer le chemin, » dit-elle en poussant aussi le sien.

« Vous n’y pensez pas ! miss Vernon. Il n’est pas… excusez la franchise d’un ami… il n’est pas convenable, il n’est pas décent que vous m’accompagniez dans une telle circonstance.

— Je vous comprends, dit miss Vernon (une légère rougeur colorait son beau front) ;… c’est fort bien parlé… » puis, après un instant de réflexion, elle ajouta : « et je reconnais que votre intention est bonne.

— Oh ! miss Vernon, pouvez-vous penser que je sois insensible à l’intérêt que vous me témoignez, que je sois un ingrat ? » m’écriai-je, avec plus de chaleur peut-être que je n’aurais voulu. « Cette nouvelle preuve de votre amitié m’est très précieuse, mais je ne dois pas l’accepter, je ne dois pas vous laisser suivre l’impulsion de votre générosité : non, par égard pour vous, je ne le souffrirai pas. Cette démarche serait trop publique ; ce serait presque comparaître devant toute une cour de justice.

— Et quand ce serait en réalité tout à fait comparaître devant une cour de justice, croyez-vous que j’hésiterais à m’y présenter pour défendre un ami ? Vous n’avez personne pour vous protéger… vous êtes étranger ; et dans ce pays de frontières les juges font d’étranges bévues. Mon oncle ne veut pas se troubler la tête de votre affaire ;… Rashleigh est absent, et fût-il ici, je ne sais quel parti il prendrait ; vos cousins sont plus stupides, plus brutes les uns que les autres : j’irai donc avec vous, et je ne désespère pas de vous servir. Je ne suis pas de ces belles dames qu’un livre de jurisprudence, le jargon barbare et les immenses perruques des hommes de loi font mourir de frayeur.

— Mais, ma chère miss Vernon…

— Mais, mon cher monsieur Francis, restez tranquille, et laissez-moi agir à ma guise ; car lorsque je prends le mors aux dents, il n’est pas de frein capable de m’arrêter. »