Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/183

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ment, je puis dire sans présomption qu’étant à même, par mon éducation, de servir de maître et de guide à miss Vernon, j’aurais été un parti plus convenable qu’aucun de mes frères.

— Et la jeune personne le pensait ainsi ?

— Vous ne devez pas le supposer, » répondit Rashleigh avec une affectation faite pour confirmer ma supposition ; « l’amitié, la seule amitié nous avait unis ; la tendre affection d’un cœur aimant pour son précepteur : l’amour n’approcha point de nous. Je vous l’ai dit, je fus sage à temps. »

Je me sentis peu disposé à poursuivre cette conversation ; et prenant congé de Rashleigh, je me retirai dans mon appartement, où je me promenai avec la plus grande agitation, répétant tout haut les expressions qui m’avaient le plus choqué. Sensible… ardent… tendre affection… amour… Diana Vernon, la plus belle créature que j’eusse jamais vue, aimer cet être difforme, hideux, en tous points Richard III, sauf sa bosse. Et cependant les occasions qu’il avait eues pendant le cours de leurs maudites études, son langage mielleux et séduisant, l’isolement où se trouvait miss Vernon de tout individu dont les paroles et la conduite fussent sensées, et son admiration pour les talents de Rashleigh, mêlée d’un dépit qui pouvait aussi paraître l’effet de l’indifférence qu’il lui avait montrée… Mais pourquoi me tourmenter de tout cela ? Diana Vernon est-elle la première femme qui aura aimé ou épousé un homme laid ? et quand même elle ne serait pas promise, que m’importerait encore ?… Une catholique, une jacobite, un grenadier eu jupon ;… songer à elle serait le comble de la folie.

En jetant ces réflexions sur la flamme de mon mécontentement, j’en fis un feu caché qui me brûlait en secret le cœur, et je descendis pour dîner, avec toute la mauvaise humeur qu’on peut imaginer.