Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/113

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sans avoir le nom de gouvernante, en fit toute la fonction ; et trouvant cette Mme de Ruz fort propre à faire ce personnage, il jeta les yeux sur elle, en reconnoissance de l’avis qu’elle lui donnoit. Il lui dit de trouver le moyen de se faire présenter à moi, sans que je susse qu’il la connoissoit. M. de Fréjus m’en parla comme de lui-même quelque temps après, et me l’amena par un escalier dérobé, un jour que M. Mazarin étoit à la chasse. J’en fus fort satisfaite, et comme je croyois que si on savoit qu’elle me plût, on ne me la donneroit pas, je ne voulois pas que personne du logis la connût, avant qu’elle y fût établie. Un jour que j’étois seule avec elle, Mme de Venelle entrant brusquement, fit sauter un buse que nous avions mis derrière la porte pour nous fermer. Aussitôt Mme de Ruz, par une présence d’esprit merveilleuse, se mit à rouler les yeux dans la tête, pleurer, et crier d’un vrai ton de gueuse, qu’elle étoit une pauvre demoiselle de Lorraine, et qu’elle me prioit d’avoir pitié de sa misère. Comme elle a l’air du visage extrêmement vif et ardent, ainsi que la plupart des Provençaux, sa grimace lui réussit si bien, et la défigura tellement, que j’avois peine moi-même à la reconnoître. Mme de Venelle en eut grand’peur ; elle s’en éloigna bien vite le plus qu’elle put, et fut depuis dire partout qu’elle avoit trouvé le diable dans ma chambre.

La conduite artificieuse de M. Mazarin dans le choix de cette dame, en un temps qu’il ne pouvoit encore avoir aucun sujet de se plaindre de moi, suffit pour vous faire connoître sa défiance naturelle, et dans quelle disposition d’esprit il m’avoit