Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/115

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mes intérêts ; et les siens, parce qu’ils n’approuvoient non plus sa conduite que les miens. J’ai été longtemps logée à l’arsenal avec Mme d’Oradous sa cousine, sans qu’il me fût permis de la voir. L’innocence de mes divertissements, capable de rassurer un autre homme de son humeur, qui auroit conservé quelque égard pour mon âge, lui faisoit autant de peine, que s’ils eussent été fort criminels. Tantôt c’étoit péché de jouer à colin-maillard avec mes gens : tantôt de se coucher trop tard : il ne put alléguer que ces deux sujets de plainte, une fois que M. Colbert voulut savoir tous ceux qu’il avoit. Souvent on ne pouvoit pas aller au cours en conscience, à plus forte raison à la comédie ; une autre fois je ne priois pas Dieu assez longtemps ; enfin son chagrin sur mon chapitre étoit si puissant, que si on lui eût demandé comment il vouloit que je vécusse, je crois qu’il n’auroit pas pu en convenir avec lui-même. Il a dû dire depuis, que ce qu’il en faisoit étoit à cause qu’il connaissoit ce que je valois, et que le commerce du monde étant si contagieux, quelque raillerie qu’on fît de lui, il vouloit empêcher qu’on ne me gâtât, parce qu’il m’aimoit encore plus que sa propre réputation. Mais si c’est son amour pour moi, qui l’obligeoit à me traiter d’une manière si bizarre, il auroit presque été à souhaiter pour tous deux, qu’il m’eût un peu honorée de son indifférence.

Aussitôt qu’il savoit que je me plaisois en un lieu, il m’en faisoit partir, quelque raison qu’il y eût de m’y laisser. Nous étions au Maine quand la nouvelle vint du voyage de Marsal10. Il eut ordre


10. En 1663.