Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/142

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d’homme. Nanon étoit extrêmement petite, et si peu propre à être habillée de cette sorte, que je ne pouvois la regarder sans rire.

Le soir que je couchai à Nancy, où nous reprîmes nos habits de femme, la joie que j’avois de me voir en lieu de sûreté me laissant la liberté de me divertir à mes jeux ordinaires, comme je courois après elle pour m’en moquer, je tombai sur le genou fort rudement. Je ne m’en sentis pourtant point d’abord ; mais quelques jours après, ayant fait tendre un lit dans un méchant village de Franche-Comté pour me reposer en attendant le dîner, il me prit tout d’un coup des douleurs si horribles à ce genou, que je ne pus plus me lever. Il fallut pourtant passer outre ; je ne laissai pas de partir en brancard apres avoir été saignée par une femme faute d’un chirurgien, et j’arrivai à Neuchâtel, où l’on se mit en tête que j’étois Mme de Longueville. Vous ne sauriez croire la joie que ce peuple me témoigna ; n’étant pas accoutumé de voir passer par leur pays des femmes de qualité de France, ils ne pouvoient comprendre qu’autre que Mme de Longueville y eût affaire. Je connois des gens qui auroient profité de l’occasion pour goûter de la souveraineté. À tout prendre, la méprise m’étoit avantageuse : je gagnois bien à la qualité ce que je perdois à l’âge ; mais l’établissement me parut trop honnête pour une fugitive ; j’y fus si mal pansée, et mon mal en augmenta si fort, que je mis en délibération de retourner à Paris ; et il n’y eut que l’espérance d’être bientôt mieux à Milan qui me fit poursuivre mon voyage.

Peu de jours après, passant par un village de