Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/137

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point à le savoir, comme on peut le penser, et les marques de son ressentiment ne se firent pas attendre. Il ôta sur-le-champ à Saint-Évremond le commandement qu’il avoit dans ses gardes, et fit défendre au comte de Miossens de se présenter chez lui. Deux ans après, le comte de Miossens conduisoit le prince de Conde à la prison de Vincennes, par ordre du roi. Le carrosse cassa en route, et Condé proposa au comte de le laisser sauver. Celui-ci objecta son serment de fidélité au souverain, et le prince n’insista pas12. Quant à Saint-Évremond il ne revit plus le Prince, jusqu’à la paix des Pyrénées.

Saint-Évremond supporta cette disgrâce avec respect, avec dignité, sans murmure ni récrimination ; et lorsque le Prince revint en France, en 1660, l’ancien capitaine de ses gardes alla le saluer ; il en fut reçu gracieusement, en apparence. Le Prince lui offrit même sa protection, mais Saint-Évremond n’en éprouva jamais les effets, et le prince de Condé n’interposa jamais son crédit pour abréger le long exil de Saint-Évremond en Angleterre. Le Prince ne fut pas plus généreux pour Bussy-Rabutin, qui, nous devons le reconnoître, avoit gravement offensé la sœur chérie de Condé, la duchesse de Longueville. Le souvenir de ces imperfections du caractère privé d’un si grand homme étoit resté profondément gravé dans l’âme élevée de Saint-Évremond. Nul n’a plus sincèrement honoré, admire le génie et l’héroïsme de Condé ; mais cette admiration n’a pu étouffer la mémoire


12. Voy. les Mém. de Guy Joly, sur 1650.